Les Foules de Lourdes/Chapitre VII

La bibliothèque libre.
P.-V. Stock (p. 115-130).

VII


La ville est devenue, depuis quelques jours, inhabitable. Le chiffre du pèlerinage national est dépassé. Plus de 43.000 pèlerins bivaquent dans un bourg de 9.000 âmes ; et pourtant les trains ont pompé la Bretagne, le Berri, la Bourgogne, le Forez et le Rouergue, mais d’autres ont refoulé dans la cuve toujours pleine de nouveaux milliers de voyageurs venus de tous les points du territoire et de nombreuses caravanes de l’étranger s’annoncent.

Où loge-t-on ? il n’est plus un taudis où l’on ne couche, en rangs de sardines pressées, sur des paillasses ; pas de greniers ou de combles où des gens ne s’entassent ; les habitants ont loué jusqu’aux celliers, jusqu’aux caves ; l’on a réquisitionné dans les environs jusqu’aux hangars, et des débarqués errent, une valise à la main, en quête d’un gîte. Il va falloir organiser des trains spéciaux qui emmèneront coucher, le soir, dans les stations voisines, des pèlerins qu’ils ramèneront, dès l’aube du lendemain, à Lourdes. Inutile de dire que les abris de la rampe du Rosaire sont pleins. Ce matin, quand j’y arrive, c’est, en pénétrant dans les immenses salles, une touffeur si cuisante, si acre que je recule. Partout, sur le sol, des matelas, des femmes qui dorment tout habillées, un mouchoir sur la figure ; d’autres qui se rechaussent ; d’autres encore qui bâillent, les yeux bouffis et s’étirent sur le séant ; des enfants courent et se poursuivent ; une petite fille pleure ; et, au dehors, des hommes se débarbouillent avec un peu d’eau puisée dans le creux de la main et se secouent. On se croirait dans un campement de saltimbanques, dans un douar de bohémiens. Il en est de même au Rosaire qu’on essaie d’aérer en laissant ouvertes les portes ; des centaines de personnes y ont passé la nuit sur des bancs, tenues éveillées par les fouets de lumière électrique, par les chants, jusqu’à minuit ; et, à cette heure, elles ont succombé à la fatigue quand tout s’est tu et que les messes ont commencé. Les sacristains sont sur les dents. Ils ont déjà fourni le vin, les hosties, le linge pour plus de mille messes qui se sont débitées dans le Rosaire, cette nuit, et qui vont continuer maintenant jusqu’à deux heures du jour. On les célèbre partout, sur des autels improvisés de planches, il y en a en haut jusque dans la galerie des grandes orgues ; et les prêtres s’assistent les uns les autres, et l’aide nettoie, après la communion, le calice, à la place de l’officiant pour que le sacrifice finisse plus vite et qu’il puisse à son tour, et sans tarder, être servi. Et il en est ainsi dans la basilique, dans la crypte, dans l’église du village, dans les couvents, partout où l’on a pu dresser des simulacres d’autels ; c’est un moulinet de messes-express qui n’est pas sans m’inquiéter un peu ; quant aux communions des fidèles, elles atteignent des chiffres exorbitants, 125.000 en ce mois.

Il va de soi qu’il est impossible d’approcher de la grotte, de la fontaine et que, si l’on veut prier et se recueillir, le plus simple est de rester chez soi.

Déjà, les pèlerins, hébergés dans le village, remplissent l’esplanade ; on fait queue, comme aux abords d’un théâtre, devant les secourables cabines, et, c’est autour d’elles une pestilence de bouse humaine et d’urine ; des gens rapportent de la ville du pain, du saucisson, du vin ; et des familles, installées sur les pelouses de gazon, cassent la croûte ; on se croirait, un dimanche, au bois de Vincennes, avec les tessons de bouteilles et les papiers gras.

Et voici que, dans un brouhaha de poussière, une armée de femmes s’avance, en jetant des cris rauques et en gesticulant. Je comprends, en les voyant de plus près, que les quatre trains prévus de l’Espagne sont arrivés.

Ah ! ces maugrabines qui agitent des mouchoirs, envoient des baisers à la foule, en rugissant telles que des hyènes !

Ce sont les filles de Marie de Guipuzcoa ; elles ont l’air de je ne sais trop quoi, ces filles de Marie ; la plupart, brunes et petites, avec des visages ronds, de gros nez, des yeux noirs, de fortes hanches et d’impétueuses croupes ; presque toutes arborent la mantille et jouent de l’éventail. Quelques-unes sont affublées de costumes qui sont un compromis entre la livrée monastique et la toilette de ville ; deux ou trois ont les robes raisin-sec des Carmélites, la ceinture de cuir et une plaque d’émail au corsage, ce sont les tertiaires de sainte Térèse ; d’autres sont habillées en bleu et d’autres en noir, ce sont les enfants de l’Immaculée Conception et les filles de Notre-Dame de Compassion ; d’autres encore sont accoutrées de violet, ce sont les affiliées de la Confrérie des âmes du Purgatoire ; d’autres enfin sont vêtues de vert, la couleur de Notre-Dame Del Pilar ; pas de malades et très peu d’hommes, en comparaison de la masse des femmes, mais beaucoup de prêtres qui fument des cigarettes, pendant que celles des pèlerines qui ne s’éventent pas sucent des oranges ou croquent des bâtons de chocolat.

Les paisibles habitués de Lourdes s’écartent, ahuris, devant cette poussée d’espagnoles qui les acclament ; ah ! je ne suis pas inquiet ; ce que celles-là vont avoir vite fait de se frayer un chemin, au travers de la multitude jusqu’à la grotte !

Ce serait l’instant de monter à la basilique pour assister à une messe ; elle est bourrée de monde et force m’est de rester près de la porte. Au ruban jaune-souci qui pavoise les boutonnières, je reconnais, assis sur les bancs, le pèlerinage des hollandais.

La grand’messe commence et j’ai la surprise de l’écouter, chantée en vrai plain-chant ; c’est la seule messe propre que j’aurai entendue à Lourdes. Un sermon a lieu, après le Credo. Tandis que le prêtre hollandais prononce en chaire un discours que je ne comprends pas, je regarde, une fois de plus, l’intérieur de la basilique.

Il est d’aspect étriqué, avec la sécheresse de ses arêtes, la ténuité de ses voûtes, la couleur de cendre de ses murs ; il est très inférieur au gothique de la chapelle des Jésuites de la rue de Sèvres dont il rappelle un peu la disposition, par son assemblage de petites chapelles logées dans les bas-côtés et les portes de cave ouvertes dans les pans de murs qui les séparent. Sans élévation et sans largeur, la nef est, en somme, longée de chaque côté par un étroit corridor dans lequel la foule se bouscule sans pouvoir circuler. La funeste ganache qui a construit ce misérable pastiche du xiiie siècle, n’a su réussir qu’une chose, l’alliance de l’incommodité et de la laideur.

Au fond de cette nef qui s’achève en un maigre chevet, occupé, lui aussi, par de minuscules chapelles, se dresse, entouré d’une grille dorée, un autel en marbre de Carrare, surmonté d’une statue de l’Immaculée Conception de Cabuchet qui n’est pas sensiblement supérieure à celle que fabriqua pour la grotte le Lyonnais Fabisch.

La bonne Bernadette s’y connaissait, sans doute, fort peu en art, mais elle ne put s’empêcher de sourire de pitié quand ce Fabisch lui présenta ses esquisses et ses maquettes. Il n’en continua pas moins de modeler et de durcir ses pains de margarine et ses bols de cérat et, quand la statue fut terminée, Bernadette, que l’on consulta pour savoir si elle ressemblait à la Vierge, répondit : « Pas du tout » ; puis quelque temps après, alors qu’elle la vit, en place, dans la grotte, elle dut s’éloigner aussitôt, ne pouvant, nous raconte un témoin oculaire, le docteur Dozous, supporter la vue d’une telle image !

Ajoutons, pour attester le manque absolu de talent de ce très pieux homme, qu’il avait vu Bernadette en extase, qu’il avait par conséquent aussi, vu un reflet divin éclairer une figure humaine et tout cela pour aboutir à cette effigie de première communiante, à cette tiède, à cette molle fadeur ! Ah ! ce qu’à notre époque la piété ne donne pas de talent ! Est-ce, dans toutes les branches de l’art, assez prouvé ?

Pour en revenir à la basilique, ce qui est inconcevable, c’est cet amas de bibelots de dernier ordre et de loques bariolées qui la décorent. Partout pendent aux voûtes des bannières poussiéreuses, aux ors devenus noirs ; et le long de la nef, parée, au-dessus de ses arcs d’ogive et au-dessous de ses minces fenêtres aux vitres colorées comme des bonbons anglais, d’une frise dessinée avec des cœurs de métal qui simulent des lettres et reproduisent les paroles adressées par la Vierge à Bernadette, c’est un déballage de drapeaux de toutes les nations : Haïti, Chili, Belgique, Angleterre, Autriche, Hollande, Bolivie… et contre les murs, partout, dans les chapelles, du haut en bas, une collection d’ex-voto ridicules, des fleurs artificielles, des couronnes de mariées, des brassards de première communion, des épaulettes, des épées, des croix de la légion d’honneur, des portraits de famille, des tapisseries pour pantoufles, des chromos. Un seul de ces ex-voto est intéressant. Il est accroché, à droite dans le chœur, près de l’autel voué à Notre-Dame de la Salette ; il contient, sous un verre bombé, dans un cadre, des fragments d’os et d’horribles griffes, quelque chose comme des griffes de léopard qui seraient pétrifiées. Ce sont les ongles d’une femme dont le bras était paralysé et la main fermée depuis des années ; les ongles avaient percé la paume et poussé, en se recourbant, dans les chairs. Elle plongea son bras dans la piscine ; il se ranima, la main s’ouvrit et les ongles et les os cariés tombèrent dans la baignoire où on les repêcha.

L’on dirait, en examinant ce déballage de hardes qui flottent au plafond, d’un séchoir et de ce fatras de babioles clouées aux murs, d’un magasin de décrochez-moi ça, d’une boutique de bric-à-brac ; l’on dirait surtout que l’on s’est ingénié à loger dans une basilique un tas de choses qui n’ont aucun rapport avec elle. Tout y est incohérent et disparate, depuis les lampes du chœur, jusqu’à ces lustres à pendeloques de cristal ou en verre de Venise, pendus dans la nef. Ils seraient à leur place, dans un salon, mais pas dans une église.

Salon en haut et écurie en bas alors, car l’asphalte est substitué dans ce sanctuaire aux pavés liturgiques et aux dalles.

Tout cela est bien laid ; si seulement c’était simple et naïf, mais le malheur est que ça ne l’est pas !

En attendant, je suis reconnaissant aux hollandais de m’avoir donné une messe de pur plain-chant et je descends maintenant au Rosaire, car j’ai lu sur une pancarte affichée en un coin de porte, que les espagnols allaient, également, célébrer une grand’messe et je ne serais pas fâché de voir comment on s’acquitte des offices en Espagne.

La rotonde du Rosaire est ainsi que la basilique d’où je sors, pleine. Je finis cependant par franchir la haie des dos et je gagne un coin ; de là, je plonge sur le champ noir des mantilles qui s’étend jusque sur les marches de la rampe de communion ; toutes les espagnoles accroupies s’éventent ; la messe commence avec diacre et sous-diacre et la petite maîtrise des hommes que les prêtres ont amenée avec eux, entonne l’Introït.

La bonne et l’expansive Espagne, la voilà qui chante, elle aussi, du plain-chant ! À l’Introït, succède un Kyrie, inconnu de nos manuels, mais qui gémit avec une allure implorante, étrange ; le Gloria et le Graduel sont déjà d’une couleur moins ancienne ; quant au Credo, après avoir débuté en musique grégorienne, il s’achève en une chevauchée à la Palestrina qui doit servir sans doute de transition avec le reste de l’office exclusivement composé de séguedilles et de fredons ; la messe est, en somme, hybride, à deux parties, mais la première est au moins belle !

Après le Credo, Monseigneur de Tarbes, qui vient d’arriver, monte dans l’une des deux chaires en marbre blanc qui flanquent, de chaque côté, l’autel, somptueux mais d’un goût, par extraordinaire, quasi probe, et il adresse ses souhaits de bienvenue aux pèlerins. Il parle simplement, d’une voix calme, détache ses mots qu’écoute attentivement un prêtre espagnol, huché dans l’autre chaire.

Et lorsque l’évêque a terminé son discours, ce prêtre le traduit aux assistants. Il le traduit ? je ne sais. Tout d’abord je me demande, stupéfié, ce qui le prend celui-là ! car il bouleverse son masque olivâtre, peint avec un rasoir sur les joues en bleu, se frappe la poitrine, cogne à coups de poing le rebord de la chaire, jette les bras au ciel, hurle tel qu’un énergumène. Quelle singulière transposition d’un entretien placide et d’un compliment aimable en une tumultueuse harangue, en un boniment de drame !

Il s’arrête enfin, inondé de sueur, prononce quelques mots sur un ton raisonnable et aussitôt toutes les maugrabines se lèvent et poussent, par trois fois, un vivat rauque et strident ; elles se soulagent avidement ainsi de cette compression de silence qu’elles ont subie depuis qu’elles sont assises et, dès la fin du dernier Évangile, leur exubérance déborde, en mêlant leurs voix à celles de la maîtrise, en chantant la marche de Saint-Ignace, une marche mâle et rythmée qui, passée par ces timbres rugueux et suraigus, s’affirme d’une pompe barbare et contraste violemment avec l’effroyable vulgarité des cantiques que l’on beugle ici.

On étouffe dans cette rotonde si mal bâtie qu’on ne peut suffisamment l’aérer et je m’échappe avant que la ruée des mantilles n’ait obstrué les portes. Une fois dehors, je vais m’asseoir sur un banc le long du Gave et je me remémore cette vie si peu liturgique qu’il faut suivre, à Lourdes.

Jamais, en temps ordinaire, une grand’messe en plain-chant, mais toujours une messe basse accompagnée de pieuses turelures qui n’ont aucun lien avec elle — ou bien, ce qui est plus étrange encore, un prêtre débite tranquillement un sermon, tandis que celui qui est à l’autel continue le sacrifice ; et l’inutile bavard ne se tait que lorsque tinte la sonnette, pour l’élévation.

N’ai-je pas entendu, jadis aussi, dans la vieille église du village détruite, un « Sub tuum » clamé au moment de l’évangile et à la basilique, des Vêpres de la Vierge, exécutées par un pèlerinage du diocèse et ainsi ordonnées : deux psaumes au lieu de cinq, en fait d’hymne « l’Ave maris Stella » avec la première strophe servant de refrain aux autres, le Magnificat, et le tout sans aucune antienne ! mieux vaudrait ne pas chanter les Vêpres du tout plutôt que de les réduire de la sorte. Quant au sanctoral et aux féries, il n’en est guère question ici. Le plus souvent, l’on célèbre l’office de l’Apparition dont le rite est supérieur à Lourdes à celui du Propre du Temps et à celui de la majeure partie du Commun des Saints qu’il refoule ; mais cet office qui fut façonné par les Bénédictins de Solesmes est superbe et je serais mal venu à me plaindre de l’avoir entendu tant.

Je me rappelle, certains dimanches, ces Vêpres magnifiques et j’en arrive à regretter qu’on ne les chante pas toujours à la place de ces autres Vêpres si écourtées parfois qu’elles n’en sont plus.

Ces dimanches… mais il n’y avait pas alors l’étonnante cohue des pèlerinages internationaux. L’office avait lieu à la basilique ; les antiennes, les psaumes en vrai plain-chant étaient exécutés par deux chœurs, l’un dans la nef, l’autre derrière l’autel. Celui, situé dans la nef, se composait du pensionnat des sœurs de Nevers, une armée de bambines, coiffées de capulets gris liserés d’une ganse bleue, expertement dressées au plain-chant par les sœurs ; l’autre, derrière l’autel, était constitué par les enfants de la maîtrise et par quelques chantres très bien formés, eux aussi, par l’abbé Darros, le maître de chapelle, et ils alternaient les versets des psaumes et chantaient ensemble l’hymne « Omnis expertem » qui se déroulait sur une mélodie populaire, charmante, mais la merveille de ces Vêpres, c’était le Magnificat.

Après l’antienne, tous les enfants se taisaient ; et alors, du haut des grandes orgues, au-dessus de la porte d’entrée, un cri rocailleux mais vibrant, explosant en une flamme, ébranlait l’église : Magnificat !


Et une troupe de montagnards soutenait ce cri lancé à toute volée sous les voûtes, avec le tonnerre de leurs voix de bronze. C’était d’une âpreté et d’une violence, mais c’était aussi d’une solennité jugulante, d’une gloire inouïe ! Jamais tempête plus majestueuse de louanges n’avait retenti en l’honneur de la Vierge et il semblait que, nulle part encore, l’on n’eût ainsi exprimé le triomphe d’allégresse du Magnificat, comme en ces Vêpres brûlantes de Lourdes !

La disgrâce de la piètre église disparaissait ; elle se brouillait d’ailleurs dans les nuées gris perle de ses flocons d’encens et tremblait dans le fouillis des rayons de soleil tombés des vitres et mêlés aux foyers de lumière électrique allumés dans les centaines d’ampoules de ses lustres. On pouvait se croire ailleurs et savourer, pour quelques minutes, le bienheureux oubli de la Laideur et la joie de voir enfin offrir à Notre-Dame un présent qui fût vraiment digne d’Elle.

Et je songe à tout ce qu’on pourrait amoureusement lui dispenser à Lourdes… des grand’messes célébrées, selon le mode grégorien, ainsi que le veut d’ailleurs le Motu proprio du Pape ; et des grandes et des petites Heures dont on n’entrevoit, publiquement du moins, aucune trace dans la basilique et le Rosaire — personne n’y a entendu chanter, même le dimanche, l’office admirable des Complies. — Et le petit office qui porte son nom, qui fut fait exprès pour Elle n’est-il pas tout désigné ainsi que ces touchantes et que ces naïves proses que le Moyen Âge tissa pour aduler ses douleurs et ses liesses ? — Bref, il faudrait instaurer le « Laus Perennis » de la liturgie Mariale, à Lourdes. — Il fonctionne jusqu’à un certain point, si l’on veut, puisque, jours et nuits, les cantiques ne cessent pas. Mais quelle Laus de pacotille, quelle louange de drogue ! — C’est l’ « En revenant de la revue » et « le père la Victoire » de la piété ; et qui dira l’obsédante importunité de ces « Ave Maria », de ces « Laudate Mariam », de ces « Nous voulons Dieu, c’est notre père », de ces « Au ciel, nous la verrons, un jour », braillés à tue-tête sur des mélodies canailles dont la vraie place serait dans les beuglants d’un faubourg ? Et l’on en mange et l’on en boit, ici ; on s’endort et l’on se réveille en les écoutant ; c’est l’air même du pays, le vent même de Lourdes !

Il y a, pourquoi ne pas le constater, dans cette ville, un clergé montagnard, excellent mais insensible à tout ce qui n’est pas la grosse besogne des processions et des prêches, du maniement des foules ; il est juste de relater aussi que ces prêtres qui ont remplacé les pères de la grotte, chassés de leur maison commune, sont excédés de travail, tués par les confessions et que l’on ne peut raisonnablement exiger d’eux qu’ils organisent encore des offices canoniaux dans les églises — seuls, des Bénédictins, installés à Lourdes, pourraient assurer ce service. — Et puis, en admettant, par impossible, que le sens liturgique existe dans cette contrée, il pourrait très bien ne pas exister. — Et combien c’est probable ! — dans les diocèses de France et de l’Étranger qui se rendent à la grotte — et il serait assez malséant de leur demander d’abandonner leur routine et de chanter, à la place de leurs rigaudons, des hymnes latines… aucun ensemble n’est donc réalisable.

Mais, tout de même, il n’en coûterait pas davantage au clergé de Lourdes de faire chanter à ses offices, à lui, du plain-chant et de suivre un peu, dans ce qu’elles peuvent avoir de conciliable avec ses occupations, les règles de la liturgie…

Je crains bien, hélas ! que ce vœu ne soit aussi parfaitement inutile que les autres, car, si nous exceptons les Vêpres de la basilique, il en est, ici, de la liturgie et du chant, comme de l’architecture, comme de la peinture, comme de la statuaire. Il y a, cette fois, ensemble.

Ah ! lorsque le Diable se fait bondieusard, ce qu’il devient terrible !