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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/14

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 485-490).
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saint Jean


CHAPITRE XIV


DISCOURS APRÈS LA CÈNE : JÉSUS-CHRIST EXHORTE SES DISCIPLES A LA CONFIANCE EN SON PÈRE ET EN LUI. — IL LEUR PROMET DE LEUR DONNER UNE PUISSANCE ÉGALE A LA SIENNE, ET DE LEUR ENVOYER LE SAINT-ESPRIT. — ADIEUX.


Que votre cœur ne se trouble point. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi[1]. Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ; s’il en était autrement, je vous l’aurais dit. Je vais vous préparer une place[2]. Et lorsque je m’en serai allé et vous aurai préparé une place, je reviendrai[3], et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi. Où je vais, vous le savez, et vous savez la voie[4]. Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons où vous allez, et comment pouvons-nous savoir la voie ? Jésus lui dit : Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne vient au Père que par moi[5]. Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père ; et bientôt vous le connaîtrez, et vous l'avez vu[6]. Philippe lui dit : Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. Jésus lui répondit : Il y a longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas[7] ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi le Père. Comment dis-tu : Montrez-nous le Père[8] ? Ne croyez-vous[9] pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais le Père qui demeure en moi fait lui-même les œuvres que je fais[10]. Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? Du moins croyez en moi à cause de mes œuvres[11].

En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi, les œuvres que je fais, il les fera aussi, et il en fera de plus grandes : parce que je vais à mon Père[12]. Et tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils[13]. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. Si vous m’aimez, gardez mes commandements[14].

16 Et moi je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu’il demeure toujours avec vous[15], l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point[16] ; mais vous, vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera au milieu de vous, et sera en vous[17]. Je ne vous laisserai point orphelins ; Je viendrai à vous[18]. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, parce que je vis, et que vous vivrez aussi[19]. En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis dans le Père, et vous en moi, et moi en vous[20]. Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; et je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui[21]. Judas[22], non pas l’Iscariote, lui dit : Seigneur, comment se fait-il que vous vous manifestez à nous, et non au monde ? Jésus lui répondit[23] : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m’aime point, ne garde point mes commandements. Et la parole que vous avez entendue n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé, du Père[24]. Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous. Mais le Paraclet, l’Esprit-Saint, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit[25].

27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas comme la donne le monde, que moi je vous la donne[26]. Que votre cœur ne se trouble point et ne s’effraye point. Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi[27]. Et je vous le dis maintenant avant que cela arrive[28], afin que quand ce sera arrivé vous croyiez. Je ne vous parlerai plus guère, car le Prince de ce monde vient[29], et il n’a rien en moi[30]. Mais afin que le monde connaisse que j’aime mon Père, et que, selon le commandement que mon Père m’a donné, ainsi je fais, levez-vous, sortons d’ici[31].

  1. Qui suis son Fils, Dieu comme lui, et qui ne vous laisserai pas sans secours. — En grec, croyez en Dieu, et croyez-moi.
  2. Ce vers. a pour but d’expliquer le trente-troisième du chapitre précédent, et d’effacer l’impression pénible que ces paroles mal comprises avaient produites sur les Apôtres.
  3. A l’heure de votre mort, et d’une manière plus parfaite au jour du jugement. Ad. Maier entend je reviendrai de la communication de l’Esprit-Saint : comp. vers. 23.
  4. La voie pour moi, c’est ma mort ; pour vous, c’est d’avoir part à l’œuvre de la Rédemption. Ce dernier point sera expliqué au vers. 6
  5. Notre-Seigneur ne répond qu’à la seconde question de Thomas, la plus importante : Moi seul, dit-il, je puis apprendre aux hommes à connaître le Père, et les moyens d’aller à lui. L’Église tient la place de Notre-Seigneur sur la terre : elle est la voie, la vérité et la vie.
  6. M’aviez connu, parfaitement. — Mon Père, car mon Père et moi avons la même substance divine. — Connaîtrez, quand j’aurai été glorifié. En grec, et maintenant vous le connaissez. — Vu : l’explication est donnée au vers. 9.
  7. En grec, et tu ne me connais pas encore ?
  8. Notre-Seigneur, dit Maldonat, insinue qu’il y a en lui deux natures, la nature humaine, qui frappe les yeux du corps, et la nature divine, qui se révèle aux yeux de l’âme.
  9. En grec, ne crois-tu pas.
  10. L’identité des œuvres prouve l’identité de la doctrine.
  11. Des miracles que mon Père fait pour moi. — En grec les mots, du moins — œuvres, appartiennent au vers. 11.
  12. 1° Notre-Seigneur ne sortit point de la Palestine ; les Apôtres évangéliseront le monde, et étendront par toute la terre le royaume de Jésus-Christ ; 2° Les miracles de Jésus, rendant la vue aux aveugles, ressuscitant les morts, etc., n’étaient que la figure des œuvres plus excellentes que devaient faire les Apôtres en administrant les sacrements, où, non le corps, mais l’âme est éclairée, guérie, etc. Parce que : Jésus glorifié donnera du haut du ciel ce pouvoir à ses Apôtres.
  13. Je le ferai : les œuvres idéales du Père sont réalisées par le Fils (i, 3 ; v, 19), qui d’ailleurs opère dans et par ses Apôtres. — Afin que, par les œuvres du Fils, éclatent la puissance, l’amour, la sagesse de Dieu.
  14. Toutefois rendez-moi amour pour amour, et gardez, etc.
  15. Et moi, si vous persévérez dans mon amour, je prierai, comme homme. — Paraclet, c’est-à-dire aide, secours, auxiliateur, Remarquez le mot autre : Notre-Seigneur est aussi Paraclet.
  16. C’est la même pensée que saint Paul exprime plus clairement : « L’homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu. » I Cor. ii, 14.
  17. L’Esprit-Saint sera jusqu’à la fin des siècles dans l’Église, — non par une présence visible, comme la mienne, mais dans les âmes, où il accomplira ses divines opérations.
  18. Orphelins : Notre-Seigneur venait de les appeler ses petits enfants (xiii, 33), il continue à parler en père. — A vous, en vous envoyant l’Esprit-Saint, qui a la même nature et la même substance divine que moi.
  19. >Saint Cyrille : « Notre-Seigneur dit qu’après son ascension il sera invisible pour ceux qui sont dans du monde, qui en ont les affections et les sentiments ; mais qu’il sera visible pour les pieux fidèles, le Saint-Esprit faisant briller dans leur âme une lumière divine. » C’est une vérité d’expérience : les mondains n’aperçoivent Jésus-Christ nulle part ; les saints, qui ont la vraie vie, la grâce sanctifiante, découvrent partout sa présence et son action.
  20. Éclairés par l’Esprit-Saint, vous connaîtrez que je suis dans le Père par l’unité d’une seule essence divine. — Vous en moi, par la régénération vous m’êtes incorporés comme les membres au chef, — Moi en vous, par l’Esprit-Saint, qui habite substantiellement, disent les anciens Pères (SS. Irénée, Cyrille d’Alex., Augustin, etc.), dans les âmes Justes ; en sorte que la grâce sanctifiante est la personne même du Saint-Esprit. Voy. Matth. iii, 13, note. Ainsi il y a ressemblance, mais non égalité, entre l’union du Père avec le Fils, et celle du Fils avec les chrétiens. Bossuet : « En ce jour, lorsque le Saint-Esprit vous sera donné, et encore plus en ce jour où vous verrez à découvert la vérité même, vous verrez mon union intime, substantielle et naturelle avec mon Père, et celle que j’ai contractée avec vous par miséricorde et par votre grâce. »
  21. En venant en lui par le Saint-Esprit, et en lui donnant une connaissance de plus en plus claire des mystères divins, jusqu’au jour où il sera admis dans le ciel à la vision intuitive de Dieu. Ce vers, explique à quelle condition se fera l’union de Jésus-Christ avec l’âme fidèle : « Quand sera-ce, ô Seigneur, que vous m’admettrez à ce secret, à cette vue intime et parfaite de votre Père et de vous ? Quand vous verrai-je, ô Père et Fils, ô Fils et Père ? Quand verrai-je votre parfaite unité, et la manière admirable dont vous demeurez l’un dans l’autre, lui en vous, et vous en lui ? Quand vous verrai-je, ô Dieu qui sortez de Dieu, et qui demeurez en Dieu, ô Dieu, Fils de Dieu ?… O Père, je serai heureux quand je verrai votre face ! Mais votre face, votre manifestation, c’est votre Fils ; c’est le miroir sans tache de votre incompréhensible majesté, de votre beauté immortelle, l’image de votre bonté parfaite, la douce vapeur, l’émanation de votre clarté et l’éclat de votre éternelle lumière (Sag. vii, 25-26) : en un mot, votre pensée, votre conception, la parole substantielle et intérieure par laquelle vous exprimez tout ce que vous êtes : parfaitement et exactement un autre vous-même : qui sort sans retranchement du fond de votre substance. Je me perds, je crois, j’adore ; j’espère voir, je le désire : c’est là ma vie. » Bossuet.
  22. Saint Jude, appelé aussi Thaddée, ou Lebbée, frère de saint Jacques le mineur, et fils d’Alphée et de la sœur de la sainte Vierge. Cet apôtre était préoccupé de l’idée d’un royaume terrestre du Messie qui devait embrasser tous les peuples.
  23. Notre-Seigneur répond indirectement, en insistant sur la pensée du vers. 21.
  24. Il faut donc la garder.
  25. L’Esprit-Saint : le Paraclet est appelé l’Esprit-Saint, parce qu’il est par essence la sainteté incréée, parfaite, et que de lui découle toute la sainteté des anges et des hommes, comme le rayon, dit Corn. Lapierre, s’échappe du soleil. — En mon nom, à ma place, pour achever mon œuvre (Mald., C. Lapierre) ; d’autres : à ma prière. — Ai dit, tous les mystères qui se rapportent au salut des hommes, et que vous n’avez pas encore bien compris jusqu’à présent.
  26. La paix que Notre-Seigneur donne, c’est la paix en Dieu et avec Dieu, le contentement intérieur de l’âme unie par la grâce à Jésus-Christ, contentement que ni les dangers, ni les tribulations ne sauraient troubler. Ce qui suit doit s’unir par le sens au vers. 28.
  27. Notre-Seigneur parle ici comme homme. Mon Père glorifiera mon humanité, si abaissée maintenant, en la faisant asseoir à sa droite au-dessus de toutes les créatures. Saint Athanase, saint Cyrille, saint Chrysostome, saint Jean Damascène enseignent que Notre-Seigneur, même comme Dieu, aurait pu parler ainsi : car le Père, disent-ils, est plus grand que le Fils, non par la nature ou la dignité, mais à raison de l’origine, étant le principe du Fils.
  28. Savoir, que je vais à mon Père en passant par la mort.
  29. Dans la personne des Juifs, ses suppôts.
  30. Qui lui appartiennent.
  31. Je veux aller au-devant de mes ennemis. D’autres, supposant une ellipse facile à suppléer, joignent mais afin à ce qui précède, et mettent un point après ainsi je fais.