Les Quatre Vents de l’esprit/Manuscrit/Variantes et vers inédits

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II. VARIANTES ET VERS INÉDITS.

Le manuscrit nous offre, comme tous ceux de Victor Hugo, une étonnante richesse de variantes. Nous avons dû choisir celles qui nous paraissaient les plus caractéristiques ; celles qui marquaient le plus nettement les étapes successives de la pensée. Les idées et les images se présentent sous des formes diverses, tantôt du premier jet, tantôt à la suite du travail de revision ; parfois, dans son embarras d’opter entre deux mots ou même entre deux vers, Victor Hugo les conserve tous deux, ou il biffe plus ou moins légèrement la variante abandonnée, comme s’il éprouvait quelque hésitation à marquer sa préférence ; mais le plus souvent toute incertitude disparaît et la rature est très nette. De nombreuses pièces, datant des premières années de l’exil, sont relues, corrigées parfois longtemps après ; de là, des développements d’une écriture différente sur une même pièce.

Nous avons retrouvé des fragments inédits fort intéressants, mais pas assez nombreux pour constituer, à proprement parler, un reliquat. Ils devaient trouver tout naturellement place ici ; nous avons recueilli également des vers isolés qui ont été placés entre crochets pour indiquer leur provenance. Indépendants du manuscrit, ils avaient été écrits sur des petits bouts de papier et formaient les vers jalons de l’idée première, développée ensuite dans le manuscrit et modifiée par les nombreuses variantes.


LE LIVRE SATIRIQUE.

Je vis les quatre vents passer…


Page 4.

Il rassure les
Il parle bas aux saints pensifs au fond des grottes…

La pensée est un aigle à quatre ailes…
Elle a sur elle, ayant à remuer les flots
Elle a sur elle, en hutte aux colères des flots,
Farouche, elle a sur elle, en

Le génie a sur lui, dans sa guerre aux fléaux…

En quatre pas, il peut aller d’un bout à l’autre
De la pensée
De l’art sublime, ainsi que vous de l’horizon…

Car souvent la sagesse est semblable au délire
Sa sagesse et la vôtre ont un air de délire.




Page 5.

Ô toi qui luis ! ô toi qui des mondes maudits
Ô toi qui luis ! ô toi qui des frais
Ô toi qui luis ! ô toi qui des bleus
Ô toi qui luis ! ô toi qui des clairs paradis
Ou des mondes bénis
Ou des sombres
Ou des hideux enfers portes la torche énorme…



Page 6.

L’antique poésie avec ses quatre fronts,
Homère, Job
Orphée, Homère, Eschyle et Juvénal, t’égale.

Et Némésis… elle est la multiple
Et Némésis …elle est l’éternelle harmonie
Qui, farouche
Qui, sauvage et joyeuse, allant de l’antre au nid,
Commencée en chanson
Commencée en idylle, en tonnerre finit.

Rayon, verbe, elle est douce aux peuples
Rayon, verbe, elle est douce aux hommes asservis,
Donne à ces noirs passants de l’ombre
Donne à tous les passants, peuple ou roi,
Donne aux passants, tyrans ou peuples, des avis…

I. Inde iræ.


Page 11.

Il chantait, il rugit ; il louait, il conspue.
Ce qui bénissait mord ; ce qui louait conspue…

Archiloque, Agrippa d’Aubigné, rêveurs fauves,
De là naissent les grands vengeurs, les rêveurs fauves.

III. Ô sainte horreur du mal ! devoir funèbre ! ô haine !…



Page 13.

Car sur des écriteaux de braise
Car sur des écriteaux de bronze
Car sur des écriteaux d’acier en mots de feu…

Ils jettent
Ils laissent sur Ninive, et sur Tyr et sur Rome
Ils marchent, affichant des sentences que l’homme
Des sentences, pensée
Des sentences, terreur éternelle de l’homme.
Lit effaré sur Tyr, sur Ninive, sur Rome…

Page 14.

La stryge au double front que son vers a tuée
Faite d’impératrice et de prostituée.
Qui gronde impératrice et rit prostituée…

V. La satire à présent, chant où se mêle un cri…


Page 17.

Masque d’acier
Bouche de fer d’où sort un sanglot attendri…

Pas à pas grave et morne, …et la vérité nue
Appelle la pensée à son secours, depuis
Qu’on a mis ce bloc noir, l’empire sur ses puits.
Qu’on l’a murée avec le mensonge en son puits.
Après Voltaire
Après Jean-Jacque, après Danton…

Toute la vertu
Toute l’histoire tient dans ce mot : réussir…

C’est pourquoi la satire est sévère. Elle ignore
Tout ce noir
Tout ce vieux tas de rois
Cette gloire
Cette grandeur des rois qui fit Boileau sonore…



Page 18.

Offrir à Dieu l’encens qui sort du peuple en fleurs
Faire luire un avril nouveau
L’éclosion d’un jour nouveau sur l’homme en fleurs…

La clarté frappe et met en relief les défauts
Honte, gloire, vertus,
Honte, gloire, grandeurs, vices, beautés, défauts…

La vérité, c’est l’or. L’homme est le minerai.
La lumière de tout ici-bas fait l’essai.



Page 20.

Mais son immense effort, c’est la foule.
Mais son immense effort, c’est le peuple.
Mais son immense effort, c’est la vie. Elle veut
Vaincre l’oubli,
Chasser la mort, bannir la nuit, rompre le nœud…

VI. Voix dans le grenier.
(Autres titres : voix autour du rêveur. — conseil des haillons.)



Page 21.

Qu’un usurier ventru, poussif, hideux, sournois,
Qu’un usurier poussif, Gastraffe,
Que l’usurier hideux, poussif, auquel tu dois…



Page 22.

Noir démon frissonnant
Démon aux pieds de feu
Démon aux crins épars né des vents de l’Ukraine !

VII. Le Soutien des empires.

Page 23.

Il a ce gros bon sens du cher Sancho Pança
Il fait un peu l’usure, il fait un peu l’aumône,
Qui laisserait mourir à l’hôpital Cervantes ;
Lit Racine, Boileau, prend la taille à Simone,
Il admire Boileau, caresse les servantes,
Couronne une rosière en sa maison d’été,
Et crie, après avoir chiffonné Jeanneton,
Maudit le drame et crie à l’immoralité.
À l’immoralité du roman-feuilleton.

VIII. Écrit sur la première page d’un livre de Joseph de Maistre.


Page 25.

Par une porte, sacristie,
Plan incliné. La sacristie,
Et par l’autre porte, abattoir.
Glissante, devient l’abattoir.

Page 27.IX. Se laisser calomnier.
(Autre titre : à ***.)
X. À un homme fini.

Page 28.

Tu savais bien qu’un jour il faudrait choir enfin,
Mais pas comme Fouquet,
Mais tu n’imaginais ni Séjan, ni Rufin.

XI. À *******
Autre titre : à un reviewer.critique.
(Autre titre : à un reviewer.)


Page 29.

Ton ventre monstrueux, ta laideur,
Ton crâne plat, ton ventre odieux ; et du doigt…

J’ai reconnu pour toi l’idéal impossible.
J’ai vu ton cœur sans Dieu, ta chambre sans cuvette ;


Page 20.

Hélas ! et j’ai senti que, ton âme inflexible
Je t’ai vu t’irriter au chant d’une fauvette,
N’ayant qu’un pauvre instinct, bas, féroce, hébété.
Toujours plisser le front, toujours crisper le poing ;
Tant de laideur était fermée à la beauté.
Et j’ai compris pourquoi tu ne comprenais point.


XII. Anima vilis.
(Autres titres : à un petit drôle qui tâche d’être complice des grands crimes.
à un maroufle qui voudrait être promu scélérat.)grand coquin.
à un maroufle qui voudrait être promu scélérat.)

Page 30.

Il raillait l’art, et c’est tout simple, en vérité,
Tant de laideur étant fermée à la beauté.
La laideur est aveugle et sourde à la beauté.

Quoi ! Pancrace voudrait devenir
Aliboron n’est pas aisément Béhémoth…

Sphinx que Tacite insulte
Mammons que hait Tacite et qu’admire Cuvier…

Tu te gonfles, Nisard,
Tu te gonfles, crapaud, mais tu n’augmentes pas…

Page 31.

En vain il copierait le grand jaguar lyrique
Roi de la dune au bord des océans…
Errant sur la falaise au bord des mers d’Afrique…

XIII. Littérature.


Page 34.

La reine c’est pour nous la vierge aux yeux baissés
Pour nous les petits cris au fond des nids poussés
Qui file et coud.
Sont augustes.


Page 35.

Nous nous sentons cette aile au dos, la Liberté !
Nous sentons frissonner notre aile, ô Liberté…

Jadis, frisure au front, ayant à ses côtés
Autrefois, entouré, sous des plafonds olympes,
Un tas d’abbés sans bure et de femmes sans guimpes,
D’évêques sans rudesse et de femmes sans guimpes,
Parmi des princes dieux, sous des plafonds olympes,
Prêt dans son justaucorps à poser pour Audran,
Les mains dans la dentelle
La dentelle au cou, grave, et l’œil sur un cadran…


Page 37.

Nos strophes
Nos âmes aux oiseaux disputent la rosée.

Sous les branchages noirs du destin nous errons.
L’âme ouverte à l’haleine éparse sur nos fronts.
Purs et dédaignant le mal,
Purs et graves, avec les souffles sur nos fronts.

XIV. À un écrivain.


Page 39.

Il est je ne sais quoi d’harmonieux, de frêle,
Il monte ; il est le vers ; je ne sais quoi de frêle,
D’éternel qui frissonne, et pleure
Et d’éternel, qui chante et pleure et bat de l’aile.

À toutes ces lueurs du ciel mystérieux
Que l’aube frémissante
Que l’aube constellée
Que l’aube frissonnante emporte dans ses voiles.

XVI. Le Bout de l’oreille.
(Autre titre : les misérables brûlés en espagne.)


Page 41.

Pour faire fête à l’aube, ouvrant ses yeux charmants,
Pour faire fête à l’aube, au bord des flots dormants…


Page 42.

En vain vers le progrès pas à pas nous montons,
Tartuffe est là, nouveau Satan d’un autre éden.
Toujours, à chaque instant, et dans l’ombre, à tâtons,
Nous constatons dans l’ombre, à chaque instant, soudain,
On sent l’
Le vague allongement de quelque griffe infâme…


Page 43.

Attendez seulement que le genre humain dorme.
Attendez seulement que la France s’endorme…


Page 44.

Le double joug broyant l’âme
Le double joug qui tue autant qu’il asservit !

Jetant sur le monceau de patients
Jetant sur l’univers terrifié qui souffre…


Page 45.

Doucin, Jordan Bruno rongés par de la poix
Jordan Bruno lié sous un ruisseau de poix
Crevant au-dessus d’eux un tonneau sous son poids,
Qui ronge par sa flamme et creuse par son poids…

Adrien, Charles-Quint, Jean vingt-trois,
Farnèse et Charles-Quint, Grégoire et Sigismond,
Toujours ensemble assis comme au sommet d’un mont,
Et dessous, toute l’âme humaine qui frissonne,
À leurs pieds toute l’âme humaine épouvantée
Le feu qui luit, la nuit qui vient, le glas qui sonne,
Sentant sous trop de Dieu qu’elle devient athée ;

Sous cet effrayant Dieu qui fait le monde athée ;
Tout cela m’apparaît.
Ce passé m’apparaît.

XVII. L’Échafaud.


Page 46.

Eh bien, vengeance donc ! mort ! malheur ! représailles !
Talion ! talion ! — Silence aux cris sauvages !

La torche aux Rhamséions, aux Schœnbrunns, aux Versailles !
Non ! assez de malheur, de meurtre et de ravages !
Qu’Ossa soit à son tour broyé par Pélion !
Assez d’égorgements ! assez de deuil ! assez
Au bourreau les bourreaux ! Justice ! talion ![1]
De fantômes sans tête et d’affreux trépassés !

Le progrès épousant la mort se prostitue.
S’agit-il d’égorger ? Peuples, il s’agit d’être.
Tu veux tuer quelqu’un ? qui donc ? Celui qui tue.
Quoi ! tu veux te venger, passant ? de qui ? du maître ?


Page 47.

Que l’homme est solidaire avec ses monstres même,
Que toujours le supplice éclabousse le ciel,
Qu’une tête qui tombe éclabousse le ciel,
Et qu’il ne peut tuer autre chose qu’Abel !
Et qu’il ne peut tuer autre chose qu’Abel !
Lorsqu’une tête tombe, on sent trembler le ciel.


Page 48.

C’est toujours une nuit fatale
C’est toujours une nuit funeste au peuple entier
Que celle où, le livide et morne guichetier,
Que celle où, conduisant un prêtre, un guichetier
Après avoir reçu le prêtre et la voiture,
Fouille au trousseau de clefs qui pend à sa ceinture
Fouille au trousseau de clefs qui pend à sa ceinture
Pour aller, sur le lit de fièvre et de torture,
Pour aller réveiller un
Réveiller avant l’heure un pauvre homme endormi,
Tandis qu’en un lieu sombre,
Tandis que sur la Grève, entrevus à demi,
Sous les coups de marteau clouant les pieux qui tremblent
Sous les coups de marteau qui font fuir la chouette,
D’effrayants madriers se dressent et s’assemblent,
D’effrayants madriers dressent leur silhouette…


Page 49.

La fin de tout espoir, la mort de toute foi…
Le néant, le remords, l’ignorance ou l’effroi…

Au-delà des rumeurs, des jours, des lendemains,
Au delà d’aujourd’hui, de demain, des saisons,
Et du vain flamboiement des horizons humains
Des jours, du flamboiement de nos vains horizons…

Puisque vous ne savez rien de vous, rien du sort,
Puisque vous ne voyez rien de clair dans le sort…

Serez-vous donc meilleurs
Quel pas aurez-vous fait pour avoir ajouté…


Page 50.

En avant ! Du progrès reculons les frontières.
Non, l’élargissement des mornes cimetières

Non l’élargissement des mornes cimetières,
N’est pas le but. Marchons, reculons les frontières
Ô jeunes nations, n’est pas ce qu’il nous faut.
De la vie. Ô mon siècle, allons toujours plus haut !
En avant !
Liberté !
Grandissons !

Ce sombre étal
Cet écueil
Cet îlot noir qu’assiège et que bat de ses houles…

XVIII. Jolies femmes.


Page 52.

Il faut un glaive au prince, il faut au peuple un mors.
Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts.

XIX. Cent mille hommes, criblés d’obus et de mitraille…
(Autre titre : lesurque.)


Page 53.

Comme on tombe à Wagram
Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi…

Morts dans un tourbillon d’événements sublimes
Et fiers, d’où prend son vol l’immense Liberté
D’où prend son vol la fière et sainte
D’où prend son vol la fière et blanche Liberté…

Fragment isolé :

Condamnations imméritées.

[Malheur à la justice abdiquant sa tutelle !
Oui, malheur aux états où la démence est telle,
Où le droit vénérable est à ce point terni
Qu’on y commet ce crime, un innocent puni !]

XX. La hache ? Non. Jamais. Je n’en veux pour personne…
(Autres titres : le philosophe. — le père.)


Page 54.

Voici le peuple avec son épouse l’idée ;
La hache ? Non, jamais. Je n’en veux pour personne.
Voici la populace avec son accordée
Pas même pour ce czar devant qui je frissonne,
La guillotine ; eh bien, je choisis l’idéal…[2]
Pas même pour ce monstre à lui-même fatal…

Devant la conscience, auguste cour
Devant l’esprit humain, suprême cour d’assises,
Saint prétoire, éternel et sacré
Saint prétoire, infaillible et grave tribunal…


Il est rude aux Cromwells autant qu’aux Mahomets.
Il veut de l’aube, et non du sang, sur les sommets.

Toute gloire se perd à ce funèbre jeu.
Tout temple est sombre avec une morgue au milieu.

Quatrevingt-treize avec son fatal tombereau,
Pour lui, Saint-Just poussant Danton au tombereau…

Page 55.

Quoi qu’on puisse alléguer et dire …c’est toujours
La même horreur passant
Le même spectre
Le même deuil
Le même crime errant dans la même nuit noire…

Quoi ! le cipaye irait jetant au feu des femmes,
Des vieillards, et tordant des enfants
Et tordant des enfants tout vivants dans les flammes…

Quoi ! le jacque
Quoi ! le hubin boirait du sang…

Nous ne voulons pas, nous les souffrants,
L’impassible équité ne veut pas qu’on en fasse…


Page 56.

L’homme est le favori du soleil, de la vie,
L’homme est le travailleur du printemps, de la vie.
Du matin,
De l’azur, du printemps dans les roses bercé,

De la graine semée et du sillon creusé…

XXI. C’est à coups de canon qu’on rend le peuple heureux…


Page 57.

Socrate est un vieux fou que Mélitus confond.
Socrate est fou ; lisez Lélut qui le confond.

XXIII. Sur un portrait de sainte.


Page 59.

Devenir ombre c’est offenser
Devenir ombre c’est obscurcir le saint lieu…



Page 60.

De mettre à la nature indignée
De mettre à la nature éplorée
De mettre à la nature effarée un bâillon…

On ne va bien au ciel qu’en
Il faut aller au ciel en marchant sur la terre.

XXIV. Écrit après la visite d’un bagne.
(Autre titre : enseignement gratuit et obligatoire.)



Page 61.

Où la clarté n’est pas,
Sous ces crânes obscurs

Où rampe la raison, l’honnêteté périt.


Page 62.

Je dis que je les plains et que je nous accuse ;
Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute…

De frères qu’ils étaient on les fit ennemis.
Ils sont les malheureux et non les ennemis.

Ici le mal, la nuit, l’ignorance inféconde
Ici le mal, la nuit, l’ignorance servile ;
À l’autre extrémité de cette corde immonde
À l’autre extrémité de cette corde vile…



Page 63.

Malheur à qui dit : marche, au monde
Malheur à qui dit : marche, à l’homme
Malheur à qui dit : marche, au progrès qui recule.

Voir c’est faillir, et c’est le même crime en somme
Le même crime avec la même peine immonde
De découvrir un monde ou de tuer un homme.
Que de tuer un homme ou de trouver un monde.

Sur un fragment isolé, sous le titre : Épîtres, avec, en marge, l’un des titres proposés : Enseignement gratuit et obligatoire, ces quelques vers :

....................
[Être les créateurs de la nouvelle loi,
Rêver l’immensité de la réforme humaine,
Se dire qu’on aura comme Dieu sa semaine,
Construire l’avenir profond, vaste, charmant,
Et ne point commencer par le commencement,
Par l’école où grandit l’âme débile encore,
Et ne pas marier l’enfance avec l’aurore,
Ne pas ouvrir d’abord le livre à tous les yeux
Forcés d’y regarder, afin d’atteindre au mieux,
Accepter l’ignorance avec un respect bête,
Souffrir que la nuit reste en une jeune tête,
Et voir le droit du père en cette exaction,
Ne point donner à tous pour rien l’instruction,
Ne pas mettre partout de force la lumière,
Ne pas contraindre au vrai l’enfant, au bien le père,
Par la science auguste, aliment et conseil,
C’est en faisant un monde oublier le soleil.]

XXV. Le spectre que parfois je rencontre riait…


Page 64.

Et semblait écarter du tombeau les tempêtes…
Et des arbres profonds courbait les sombres têtes…


Page 66.

Tandis qu’on jette au vent les os des meurt-de-faim.
Avec le résidu des pâles meurt-de-faim.
Ce cadavre drapé d’un suaire en drap fin
Tel cadavre vêtu d’un suaire en drap fin…

Fragment isolé :

L’hémistiche manque. [… et pour toi le cercueil
Ô passant, est lui-même occasion d’orgueil ;
Tu ne veux pas tomber sans dire : Ce qui tombe
C’est moi. Tu veux rester quelqu’un. Où ? dans la tombe.
Tu veux avoir toujours ton bruit dans les rumeurs,
Et tu ne te tais point, même lorsque tu meurs.
Tu veux que de ta chair que l’ombre décompose
Il sorte avec l’odeur un peu d’apothéose ;
Tu tâches de tourner ton charnier en autel ;
Ton sépulcre dit : — Paix ! je suis Monsieur un tel.
J’étais bon. — Et souvent ton épitaphe triche.
— Et surtout j’étais grand, j’étais beau, j’étais riche,
J’étais puissant. Sachez ceci, mes descendants. —
Tu te vantes dehors et tu pourris dedans ;
Et tu signes ton nom sur le ver qui te mange.
....................
Ta femme meurt. Bien. L’ombre a tiré son verrou.
Si tu n’es qu’un manant mets le corps dans un trou ;
Es-tu prince ou seigneur ? va conter tes tristesses
À quelque Bossuet, marbrier des altesses.]

XXVI. Les Bonzes.
(Autre titre : la maladie de peau.)



Page 68.

Plaie énorme que fait la chétive
Plaie énorme que fait l’invisible
Plaie énorme que fait une abjecte piqûre !

Esdras, là Zwingle, ici Knox,
Esdras, là Manon, là Zwingle, ici

Cette tête, Wesley, sur ce corps, Loyola ;
Torquemada,
Cisneros et Calvin, dont on sent les brûlures.


Page 69.

Tous ces fakirs d’Ombos, de Memphis
Tous ces fakirs d’Ombos, de Stamboul et de Rome…



Page 70.

Bénir, mordre, effrayer
Bénir, prendre, égayer
Bénir, prendre, jurer, tromper, servir, régner…

La grenouille au crapeau doit dire : Votre Altesse !
Le ver à l’acarus
La larve à l’acarus

L’acarus au ciron doit donner de l’altesse.

Je vous sais tout-puissants dans mon âcre insomnie.
Le temps, l’éternité, le sommeil, l’insomnie.
Vous êtes l’innombrable, et, dans l’ombre infinie,

Dans le deuil,
Dans l’horreur, dans la nuit sans fond, dans le trépas,
Terribles,
Sinistres,

Fétides, sur nos peaux mêlant vos petits pas…

XXVII. Et les voilà mentant, inventant, misérables !…


Page 71.

Au flanc de la patrie ulcères incurables…
Les voilà, fronts sans honte et bouches incurables…

Il n’est pas un lion dans la forêt profonde
[On assassine avec la plume, comme on peut.
Qui ne soit, dans l’horreur de son antre fumant.
Sans fanatisme. On tue, et c’est tout ce qu’on veut.
Sincère, et qui ne croie à son rugissement.
Quel qu’il soit, un cadavre exhale un parfum d’ambre.
Mais, honte et deuil ! ciel noir, comment faut-il qu’on nomme
Saulx-Tavanne, on ferait les meurtres de septembre,
Ces scribes qui demain diront d’un honnête homme :
Et Marat, on ferait la Saint-Barthélémy[3].]
— Je suis son assassin, mais non son ennemi.

XXVIII. Aux prêtres.



Page 73.

J’ai fort étudié vos
J’ai fort étudié les dieux…

Il sied de ressembler aux dieux…

Bonze, ton dieu se vend…
Augure, ton dieu ment…

XXIX. Muse, un nommé Ségur, évêque, m’est hostile…



Page 75.

Rimeur trop riche.
Âne, Antéchrist.

Voluptueux.

Doux prêtre… On entend rire Arouet,
Doux prêtre… On entend rire aux éclats Diderot…

D’ailleurs, tout écrivain doit avoir son Zoïle.
D’ailleurs, mordre est un droit. Tout homme a son Zoïle.
D’ailleurs, Muse, chacun sur terre a son Zoïle…

Aux sots. C’est un public… Les mâchoires fossiles
Veulent rire ; et c’est bien ; le tas des imbéciles
Veulent rire ; le clan moqueur des imbéciles
A besoin que la haine amuse son ennui.
Veut qu’on l’amuse ; il est fort nombreux aujourd’hui…



Page 77.

Tels sont mes goûts. Je suis incorrigible. Et quand
L’aube, comme un soldat qui réveille le camp,
Floréal, comme un chef qui réveille le camp…


C’est vers ce Dieu, ni grec, ni payen, ni biblique ;
C’est ce Dieu, ni payen,

Mon dieu n’est ni payen, ni chrétien, ni biblique ;
Que va l’effarement de
Que j’implore en l’honneur de

Ce Dieu-là, je l’implore en la douleur publique…


Page 78.

C’est affreux, je fais gras,
C’est affreux, je pardonne…

Fragment isolé :

[Par moments
[Par degrés la prière éclot dans mon esprit ;
Cette ombre, Christ l’aima. Socrate la
Cet astre Melanchton l’aima. Job
Cet astre, Christ l’a vu, Socrate le comprit ;
Les étoiles des cieux sont des fleurs infinies ;
De ces sérénités naissent les harmonies ;
Et je rêve à celui qui créa les vivants
Égaux comme l’azur, libres comme les vents ;
Et l’extase en moi monte, et j’écoute
Et l’extase en moi monte, et j’adore, et j’oublie ;
Toute la terre n’est qu’une voix affaiblie,
Le gouffre est une bible énorme où l’âme lit ;
L’empirée est un livre énorme où mon cœur lit ;
Un éblouissement formidable
Un éblouissement mystérieux m’emplit ;
Et ce prêtre, tandis qu’éperdu
Et ce prêtre, tandis que pensif, je contemple
L’immensité du Dieu dans la grandeur du temple,
Les constellations, l’éther, le
Et que j’adore l’astre au fond du firmament,
Derrière moi murmure un vague engueulement.]

H.-H., 3 novembre 1872.
XXX. Idolâtries et philosophies.


Page 79.

L’immense rêve humain escalade le ciel.
La philosophie ose escalader le ciel.
Son œuvre est là.
Triste, elle est là.


Page 80.

Et des sages, lascifs aux profils de satyres.
Et des sages, jetant des ombres de satyres…

Chaque porche entr’ouvert découvre un noir tunnel
Dont l’extrémité montre une étoile idéale
Dont l’extrémité montre une idéale étoile ;
Comme si, — tu le sais, Isis, larve fatale,
Comme si, — tu le sais, Isis au triple voile, —
Ces antres de science et ces puits de raison,

Dont les ténèbres sont le sol et l’horizon,
Souterrains de l’esprit humain, sans horizon,
Et dont l’obscurité grandit
Et dont l’obscurité porte chaque pilastre,

Sans air, sans flamme, ayant le doute pour pilastre…

Et le mensonge impur, difforme, épouvanté
Et le mensonge impur, difforme, illimité…

Sur les frises on lit : — Inde, Égypte, Cathay,
Thèbe a pour appui l’Inde, et l’Inde le Cathay ;
Athènes, Alexandrie, Ombos, Genève, Rome ;
Memphis pèse sur Delphe, et Genève sur Rome…


Page 81.

Ô tour ! construction des mages
Ô tour ! construction des maçons inconnus !

XXXI. Le vieil esprit de nuit, d’ignorance et de haine…
Autre titre : [écrit en l’an du concile.]


Page 82.

Dans le cerveau qui pense installe un
Change l’enfant candide et pur en nain vieillot.

Fauve et louche, il tient l’âme humaine
Il tient dans ses dents l’âme humaine et la grignote.

XXXV. Paris, le grand Paris, agonise.


Page 86.

Ce fut exquis. Minuit fut l’heure. Je dormais
Ce fut exquis. On prit l’heure où je m’endormais…

Contre ma maison close et
Ils ont livré bataille à mes volets fermés,
Ils ont fait une charge à fond, à coups de pierres.
M’ont jeté des hoquets et m’ont lancé des pierres.

Toute la ville était sans oreille et sans yeux.
C’était un ouragan de cailloux furieux.



Page 87.

Tout tremblait !
Tuons tout !

Qu’il meure !

XXXVII. Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends…


Page 89.

Le vent ne brise pas l’aile, l’iniquité
Le vent ne brise pas l’aile, l’adversité…

Je les trouve. L’oiseau vit comme le lévite.
Je les trouve. D’ailleurs les heures passent vite.

Dieu, que jadis, croyant prier, je blasphémais,
Le juste, — hélas, je saigne, où sont ceux que j’aimais ? —

Dieu, qu’à tâtons cherchait l’antique patriarche,
Sent qu’il va droit au but quand au hasard il marche.
Je vous sens devant moi lorsqu’au hasard je marche.
Je suis, comme jadis l’antique patriarche…

XXXIX. Puisque je suis étrange au milieu de la ville…



Page 93.

Mais que jamais la loi des états
Mais que jamais un sage au pouvoir
Mais que jamais Néron ni Séjan ne comprit…

Puisque je dis qu’il faut, pour que l’état prospère,
Sonder les maux du vice et ceux de l’indigent.
Civiliser le riche autant que l’indigent…

XLI. Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main…


Page 98.

Des rois ont été vus suant, crachant, toussant.
Un roi, cela vieillit, même un roi fort puissant.

La fièvre se permet d’aller jusqu’à Versailles.
La fièvre avant l’émeute a fréquenté Versailles…

La migraine se plaît sous les couronnes d’or ;
Et rit du grenadier gardant le corridor ;
Malgré l’huissier de garde au fond du corridor,
Enfin trop de carbone et pas
Elle entre. Trop d’azote et pas assez d’ozone…

XLII. Dieu éclaboussé par Zoïle.
(Autres titres : modèle de saine critique. zoïle visant au delà d’homère.plus haut qu’homère.
(Autres titres : modèle de saine critique. zoïle visant au delà d’homère.
paroles de l’esprit railleur.)
[dieu critiquable. — le feuilleton du diable.]






Page 101.

Ah ! çà, disons un peu ses vérités
Ah ! çà, disons un peu notre pensée a Dieu !
Tout a son côté faible, à commencer par Dieu.
Hommes, nous allons dire un peu

Ah çà, si nous disions un peu son fait à Dieu ?

Son couchant est toujours à la même heure en or ;
Sa musique est toujours comme au temps d’Agénor…



Page 102.

Et la vie après tout qui n’a rien de profond
Et la vie, où le faux dans le vrai se confond,

Et la vie, où l’espoir avorte et se morfond…

L’histoire, mélodrame usé
L’histoire est un vieux thème usé dès Hérodote…

Hicétas reparaît dans Copernic
Hicétas reparaît dans Galilée.


Page 103.

Dans le vent, dans l’orage,
Dans le temps, dans l’espace, on sent de la fatigue.



Page 104.

Les nuages tonnants sont de grands haillons
Les nuages tonnants sont de grands lambeaux noirs.

Les grands nuages sont d’informes arrosoirs…


Page 106.

Son mystère, cassette à secret que
Son mystère, cassette à secret où déjà
Plus d’une fois la main des savants dérangea,
Le bras des fureteurs jusqu’au coude plongea…


Page 107.

Et le nid dans la mousse
Et le cèdre et l’hysope, et l’herbe et le ruisseau…

XLIII. Ils sont toujours là.
(Autre titre : ils ne sont pas morts.)


Page 109.

Derrière lui, dans la nuit noire,
Un flot sourd croît dans la nuit noire,
Son oreille fermée aux cieux,
Il n’en sait rien ; et sans ennui,
Sans comprendre ce bruit de l’ombre,
Sans peur, sans chercher de refuge,
Entend le grand murmure sombre
Il entend le bruit du déluge
Du déluge mystérieux.
Qui remonte derrière lui.


Page 110.

Sous son fouet la Liberté
Sous son fouet la Vérité râle…


Page 111.

Satan par la foudre
Satan le sinistre oublié,
Satan le responsable immonde,
Seul, farouche et triste, est lié.
Ce brigand où le mal commence,
Au-dessus de ses maux
Au-dessus de ses fils sans nombre
Est adossé dans l’ombre immense.
Satan rêve, adossé dans l’ombre…

XLIV. Fulgur.


Page 112.

Et menace Satan sur son trône infernal.
Quand il menace l’ombre et le bagne infernal.

Deux Voix dans le ciel.


Page 113.

Les grands fronts des voyants, foyers profonds des âmes.
Les vastes fronts, foyers où rayonnent les âmes.


Page 114.

Je m’amuse. Je vois sous les jupes
Je m’amuse. Je vois le vrai côté des femmes.

admirer !
Joie immense ! savoir !

Hommes, creusez
Hommes, songez, veillez, fuyez aux solitudes !

Vivez pensifs ! plongez votre âme aux solitudes !





Page 107.

Au pied de l’édifice auguste, grave et pur
Devant ce que créa l’art rayonnant et pur
Devant le Parthénon, mutilé, calme et pur,

Sous ce mur immortel qu’a ciselé l’art pur
Les générations, le génie au front,
Les générations comme des fleuves roulent…

Au pied du Parthénon ébranché
Au pied du Parthénon effeuillé

Devant le Parthénon mutilé comme un arbre…


Page 120.

Jacque, ayant tout le jour travaillé comme un nègre,
Jacque, après son travail, las, brûlé par le hâle,
S’en revenait, son pain sous son bras. Pâle et maigre…
Rentrait chez lui, son pain sous son bras. Maigre et pâle.


Page 121.

Homère
Milton était aveugle.

Page 122.
Zénith.
Zénith[4].




Nadir.
Nadir.
Zénith.
Nadir.


L’ombre jette au rayon ses sarcasmes funèbres.
Le sage, inaccessible à vos vices funèbres,
Qu’importe ! Hommes du fond des temps dans les ténèbres,
Hommes, est votre phare au milieu des ténèbres.

La sagesse sur vous veille, flambeau lointain.
Socrate était ivrogne et Thalès libertin.
Socrate était ivrogne et Thalès libertin.
Croyez.
Croyez. Le vrai pas plus que le beau n’est certain.

Les variantes du Livre dramatique qui devraient figurer ici ont été données précédemment dans la description du manuscrit, conformément à la méthode suivie dans les volumes de théâtre.


LE LIVRE LYRIQUE.

Nous.



Page 229.

Nous plaignons les heureux
Nous voyons des heureux qui sont des misérables ;
Nous parlons entre nous des choses vénérables,

De la patrie en deuil
De la liberté morte et du peuple trahi…





Page 230.

Nous observons
Nous regardons
Nous épions
Nous gourmandons
Nous contemplons le ciel…

II. Aux oiseaux et aux nuages.



Page 235.

Vous à
Vous pour qui le Dieu redouté
Pour franchir l’abîme
Fit cet abîme, la Lumière,
A donné l’aile Liberté.
Et cette aile, la Liberté…

III. Quand le bien et le mal, couple qui nous obsède…



Page 238.

Le silence
La présence est
Abstention, complicité.
Plus on se fait petit, plus on se fait immonde,
Souvent ne point agir, c’est faire un acte immonde,

Ce qui semble un atome est tout un crime immonde ;
C’est dans l’âme la plus petite qu’en ce monde
C’est souvent dans le moindre espace qu’en ce monde…

Le fond de la cuvette où, dans l’ombre sinistre.
Un lâche se lave les mains,
Offre à l’œil effrayé, — vision formidable,
Peut offrir au regard, — vision surhumaine,
Que ne contiendrait pas l’océan insondable !
Et que tout l’océan ne contiendrait qu’à peine…

V. Chanson d’aujourd’hui.


Page 242.

L’autre océan, l’autre vague,
Et ce champ noir que recouvre
Et dans une clarté vague
L’ombre, où vaguement s’entr’ouvre
La fleur blême de la mort.

Oh ! pour qui donc fleurit-elle,
La pâle fleur immortelle
La pâle fleur immortelle ?
Du sépulcre où meurt le bruit
Du sépulcre où mon cœur fuit
Le tombeau l’épanouit ;

Triste, elle s’épanouit…

VI. Près d’Avranches.
(Autre titre : égypte et océan.)


Page 243.

Hélas ! dans ces déserts, qu’emplit un
Hélas ! dans ces déserts, qu’emplit d’un souffle immense
Où Dieu semble être seul dans sa triste puissance,
Dieu, seul dans sa colère et seul dans sa clémence…

VII. Chanson.


Page 244.

C’est une femme nue, au bord d’un lit soyeux,
C’est une douce fille à l’âge radieux…

XI. Dieu ne frappe qu’en haut, infimes que nous sommes…


Page 249.

Ces purs prédestinés,
Les hommes glorieux, les sages, les héros,
Sont tous sur le radeau de la gloire qui sombre.
Sont tous contemporains de l’adversité sombre.

XII. Nuits d’hiver.

Page 252.

De tous les biens qu’un jour fane
Et que remporte l’éclair
Et dont rit le sage amer…

Dans la Ve division, une strophe, sans doute oubliée par le copiste, est écrite en marge :

À l’église, avec un cierge,
Je la suivais triomphant.
Quelquefois son pied de vierge
Mettait mon soulier d’enfant.

XV. Androclès.


Page 263.

Et, sombre tête d’éclairs pleine,
Et levant sa prunelle pleine
Il a levé son fier sourcil,
Du reflet lointain de Saint-Cloud,
Il m’a dit : Je suis Sainte-Hélène,
Je suis Goritz, je suis l’exil.
Il m’a dit : Je suis Holyrood.


Page 265.

Mais, dans la cendre où je me traîne,
Mais, au lieu d’angoisse et de peine

XIX. Sur la falaise.


Page 271.

L’un dit : — Quand mai va renaître,
L’un dit : — En août, j’espère,

Ils nous reviendront peut-être,
Ils reviendront tous, Jean, Pierre,
Tout réjouis.
Jacques, Louis…

XXII. Lueur à l’horizon.


Page 277.

Le bœuf reprend son joug et l’herbe sa couleur
Le bœuf reprend son joug et l’âme sa douleur…

XXIV. Bestiarium.
(Autres titres : visite à la ménagerie. — la fosse aux hommes.)


Page 280.

Penchez-vous ; regardez ces êtres tortueux.
Ce sont les plus mauvais qui sont les plus nombreux.
L’aube pleure et recule
Et la terre tressaille à leur pas ténébreux.


XXIX. L’absolu, l’éternel. Rien après, rien avant…



Page 292.

Quand un espace
Quand un asile s’offre à moi dans la clarté,

L’immensité, c’est là le seul asile sûr.
Je regarde avant tout si c’est l’immensité ;
Je crois être banni, si je n’ai tout l’azur.
Je veux d’abord savoir où j’entre ;
Tout l’espace, c’est là que j’entre.
Si je n’ai tout l’azur, je crois être banni ;
Je veux tout le ciel bleu, je veux tout le ciel noir.
Par moments je me sens lion, dans l’infini
L’infini par moments me semble à peine avoir
J’erre, et je dis à Dieu : mon antre.
La dimension de mon antre.

XXX. Chanson.

Page 293.

Il est un peu tard pour faire la belle,
Ô Liberté, chère aux cœurs assombris !
Mon âme ; joyeuse en mes noirs débris,
Tu m’éblouis, fière et rouvrant ton aile.
Homme,
— Passant, la mort vient, et je lui souris.

Page 295.XXXII. Tourmente.
(Autre titre : tempête.)
XXXIII. Ma vie entre déjà dans l’ombre de la mort…



Page 297.

Voyant pour la nature, et pour l’homme
Pour les choses voyant, pour les hommes témoin,

Socrate est un voyant ; je ne suis qu’un témoin…


Page 298.

Et je retourne au fond des solitudes sombres,
Et je m’en vais, fantôme, habiter les décombres. —

Je souris au désert ; je pardonne
Je souris au désert ; je contemple et j’attends…

Je ne sais même plus si quelqu’un m’a proscrit
Je ne sais même plus si je suis un proscrit,
Je suis peut être élu croyant être proscrit.

Ne plaignez pas l’élu qu’on nomme le proscrit.


Page 299.

Je songe, ô liberté
Je songe, ô vérité, de toi seule ébloui !

Si j’eus envers quelqu’un des torts dans le passé
Dieu ! si j’ai fait saigner des cœurs dans le passé…

XXXV. L’immense Être inconnu sourit. L’aube réveille…
(Autres titres : quatre heures du matin. — dieu vu dans l’aurore.)


Page 301.

Hommes ! voici, mon Dieu qui sourit. L’aube éveille
L’immense Être inconnu sourit. L’aube réveille…

XXXVI. Oh ! Quoique je sois, sur la grève…



Page 303.

Tu me dis : — L’exil
Tu me dis : — Le deuil
Tu me dis : — Ta croix te réclame.

XXXIX. Tant qu’on verra l’amour pleurer, la haine rire…

Page 309.

Je serai ce fantôme, un juge ; et ma voix triste
Sera l’écho
De la raison, trompette
De ce clairon farouche à qui rien ne résiste…

XL. La nuit pendant que les pêcheurs sont en mer.
(Autre titre : tourmente la nuit.)


Page 310.

Les embûches
Les visions se répandent…

Tout rocher devient récif
Le flot s’acharne au récif…

XLIV. Ô misérable amas de vanités humaines…




Page 316.

Pourquoi tant de furie âpre, rude,
Pourquoi tant de furie âpre, aveugle, grossière,
Pourquoi ce bruit, tribuns ?

Hommes ! pourquoi ce bruit, et pourquoi faire attendre

Pour s’en aller en cendre, en néant, en poussière !
Des colosses au monde ? On croit, à vous entendre
Aux sombres passions l’homme est d’en haut jeté,
Rugir dans le brasier des sombres passions,
Et dans cette fournaise, hélas ! sa volonté,
Au milieu des fureurs et des ambitions,
Autour de ce qu’il craint et de ce qu’il désire,
Autour de ce que l’âme embrasse, craint, désire,
Rugit comme l’airain et fond comme la cire !
Que vous êtes de bronze, et vous êtes de cire !

XLVI. Oui, la terre fatale, oui, le ciel nécessaire…


Page 318.

Dans mon gouffre troublé
Dans mon cloaque noir ;
Puis elle reparaît. Dieu que notre espoir nomme,
Sois béni de changer l’eau bourbeuse de l’homme
En miroir étoilé !
En céleste miroir !


Page 319.

Sur ma lyre, qui tremble à tes sacrés pilastres
Sur ma lyre, qu’émeut l’esprit des Zoroastres…

XLVII. Lettre.


Page 320.

Le vent jette à la nuit l’homme ou la goutte d’eau.
Le vent souffle sur l’homme et sur la goutte d’eau.


Page 321.

L’homme dans le proscrit voit une forme obscure.
Le proscrit pour la foule est une énigme obscure.

XLVIII. Promenades dans les rochers.
Deuxième promenade.


Page 324.

L’esprit saisit le corps et l’enlève avec soi.
L’esprit saisit le corps et l’enlève au grand jour.
L’homme est un point qui vole avec deux grandes ailes.
Dont l’une est la pensée et don l’autre est la foi.
Dont l’une est la pensée et dont l’autre est l’amour.

Tout va dormir et croître,
Tout va se reposer…

L. À J. de S…, laboureur à Yvetot.
(Autre titre : les missionnaires.)


Page 328.

Ta rustique aisance
Ta médiocrité te plaît…

Un troupeau d’abbés
L’essaim des cloîtres nous poursuit…


Page 330.

De s’imaginer qu’à la lettre
Il faut être un âne à la lettre
On peut être à jamais
Pour rêver Diderot puni,
D’avoir peur du diable, et d’admettre
Pour damner Kant, et pour admettre
Que Dieu…

À ce maraud de
À tout ce pauvre genre humain…

LI. Le Parisien du faubourg.
(Autres titres : le peuple mouffetard. — le faubourien.)


Page 335.

Où sont nos fiertés guerrières ?
Las, on se couche aux carrières…

LII. Ô rois, de qui je vois les royaumes, là-bas…


Page 338.

Il veut l’aube, et renvoie avec un gai courroux
Il chasse grêle et neige, et sur l’hiver descend
Les neiges dans leurs monts et les loups dans leurs trous.
Avec le gai courroux d’un enfant tout puissant…

LV. Horreur sacrée.


Page 344.

Homère est surhumain,
Alcée est sidéral, Lucrèce est redoutable…


Page 345.

Les idylles
Les poètes ont beau rayonner sur nos têtes…

LVI. L’âme humaine est sans cesse en tous les sens poussée…


Page 346.

Dans la création comme dans la pensée
Dans l’étrange forêt qu’on nomme la pensée…

Tout parle. Tout renseigne. On écoute éperdu.
Tout parle. Rien ne ment. Pas un malentendu.


Page 348.

Mais au fond tout se ferme
Mais l’obstacle est dans l’ombre, et nous y distinguons
Une porte que nul n’ébranle sur ses gonds,
C’est l’inconnu. Notre âme en qui l’avenir
C’est l’inconnu. Notre âme en qui le progrès vibre
C’est l’inconnu. L’esprit de l’homme en qui tout vibre…

EN PLANTANT LE CHÊNE DES ÉTATS-UNIS D’EUROPE.


Page 353.

De la nuit dans la terre…et qui force cette ombre
À devenir lumière aux cieux !
À s’épanouir dans les cieux !


L’homme y mettant son âme — et l’infini
L’homme y mettant son souffle et l’océan sa rive.



Page 355.

Et le bruit profond
Et le râle humain
Et le grand hymne de Paris !


Page 320.

Semons ! — Pierre insensé bénit César féroce.
Pierre et César sont là, pleins du passé féroce !


LE LIVRE ÉPIQUE. — LA RÉVOLUTION.

I. Les Statues.

Page 361.

Tant sur la terre morne et dans le firmament
L’obscurité versait d’évanouissement !
Tant l’infini roulait une onde épaisse et sombre,
Tant l’espace était plein d’une onde affreuse et sombre,

Le ciel, pour on ne sait quels yeux lourds et
Le ciel, pour on ne sait quels spectateurs funèbres,
Et tant le ciel semblait une caverne d’ombre.
Ouvrait jusqu’au fond l’antre immense des ténèbres.


Page 362.

Héros par l’attitude
Héros par le sourire et géant par la taille…

Page 363.

Ce qui reste au héros jadis illustre et fort
Quand la nuit sur son front pose ses ailes noires
Quand le trépas l’étreint de ses deux ailes noires…

De la statue…ouvrant ses yeux fixes devant
L’étendue où la nuit flottait avec le vent
L’espace sépulcral plein de nuit et de vent…


Page 364.

Alors, dans tout Paris, de longs frémissements
Le terre-plein frémit ; de longs mouvements sourds
Troublèrent
Émurent les clochers, les tours, les monuments

Ébranlèrent les toits, les églises, les tours…

Les enseignes tournant
Les enseignes criant
Les enseignes pendant aux crocs de fer des portes,
Les grands
Les vieux ponts

Les palais crénelés comme des villes fortes…


Page 365.

Et, tandis qu’au milieu de ces sombres effrois,
Et, tandis qu’au fronton des tours l’heure étouffait
L’heure n’osait sonner aux cadrans des beffrois,
Sa voix, n’osant sonner au cadran stupéfait…


Page 366.

Au premier pas qu’il fit,
Quand l’homme s’avança, les profondeurs s’émurent.

Et les arches, les quais sous qui les eaux murmurent,
Et les vieux quais rongés par les flots qui murmurent,

Et les voûtes
Et le dessous des ponts où les courants murmurent,
Les noirs caveaux, sentant confusément un roi,
Vaguement éveillés au passage d’un roi,

Les cimetières noirs, sentant venir un roi,
Les parvis où jadis roulaient en grand arroi
Les parvis dominés d’un porche ou d’un beffroi
Sous leurs panaches blancs
Où passaient autrefois les carrosses des sacres…

Les cachots souterrains des Bastilles muettes
Les puits mystérieux des vieilles tours muettes…

Page 368.

Il côtoya les tours du palais de Justice
Où vit, le glaive en main, la loi, spectre masqué
D’où tombe sur le peuple un aveugle ananké…

Page 372.

La Seine refléta, sinistre, ces trois spectres…
Eux, tous du même pas, et le père
Eux, tous du même pas, et l’aïeul au milieu,

Reconnut Louis treize et chercha Richelieu
Sans jeter un regard aux royales croisées,
Le vieux Louvre entr’ouvrit ses royales croisées.
Livides, s’avançaient,
Eux, muets, s’avançaient vers les Champs-Élysées.

II. Les Cariatides.


Page 375.

Regardez par-dessus ce parapet, tremblez.
Approchez, regardez, méditez, et tremblez.

Page 376.

Ils regardent passer hier, aujourd’hui, demain,
Penchés sur ce qui meurt, courbés sur ce qui sombre,
Ce qui naît, ce qui meurt, ce qui va, ce qui sombre,
Livides,
Ce qui flotte…

La terreur va montant, grandissant, flamboyant,
Le reflet de l’enfer, sur l’âpre monument,

Le reflet des eaux fait, sous l’âpre entablement,
De profil en profil sur le mur effrayant.
De profil en profil croît jusqu’au
De profil en profil errer un flamboiement.

Ô larves, vision de l’invisible ! Horreur !
Ô larves, vision de l’invisible ! Pleurs !

Ô bouches où l’esprit qui passe, d’horreur plein,
Râles, sourds bâillements, contorsions, fureur !
Rires fous, bâillements, contorsions, douleurs !

Rêve Pantagruel et retrouve Ugolin !

Trous lugubres où flambe une prunelle ardente !
Progression d’angoisse et d’horreur ascendante !


À ce peuple sans nom, sans lumière et sans voix
Sans pitié
Sans espoir…


Page 377.

Au triomphe étoilé des héros et des rois
Au palais sidéral des reines et des rois…

Page 378.

Tu fis, dans le brouillard livide qui s’écroule,
Songer le redoutable
Songer l’impénétrable

Ramper le gigantesque anonyme, la foule.


Page 379.

Livres d’hommes ayant le pli des muselières
Lèvres avec l’injure et le cri familières…


Page 383.

Éclat si ténébreux et plein d’un tel délire
Éclat si ténébreux et plein d’un tel martyre…

Depuis cette âpre nuit de deuil et de colère
Depuis la sombre nuit qu’en frissonnant j’éclaire…


Page 385.

Et, tout près de ce Louvre, affreux, sanglants, brisés…
Et, non loin de ces jeux et de ces ris, brisés…


Page 386.

Tantôt Montmorency,
Tantôt Galigaï, tantôt Urbain Grandier…


Page 388.

La guerre se leva farouche, il en fut l’âme,
Il fut le nom vainqueur que la foudre proclame…



Page 390.

Et, broyant sous ses pieds tout un pays proscrit,
L’hypocrisie

L’orthodoxie était comme un tigre qui rit.
Tartuffe encourageait de Sade au nom du Christ !


Page 391.

Roi qui damne l’Europe et qui traîne des claies !
Roi qui tresse la claie et comble la voirie !
Manteau fleurdelysé que flairent les orfraies !
Ô couronne des lys qui, la nuit, se marie
Ô couronne de France,
Au bonnet de béguine où l’église souda
La calotte de fer du vieux Torquemada !

Tout ce règne finit par être de la nuit
Tout le soir de ce règne appartient aux hiboux ;
Dans ce noir crépuscule où l’œil du hibou luit.
Dans ce noir crépuscule ils sortent de leurs trous…


Page 392.

Il versa sur la France éteinte, exténuée
Il répandit sur l’âme humaine exténuée…

Page 393.

Tout au fond, arrêtant dans leur vol vers l’azur
La grâce, la beauté, la jeunesse au front pur,
Et l’épouse vendue et la vierge indignée,
Son lit sombre rayonne en toile d’araignée.

Son lit hideux rayonne en toile d’araignée.
Et cependant la terre est d’aurore baignée…


Page 394.

Exilant, bâillonnant quiconque ose rêver ;
Le plus vil ; exilant quiconque ose penser ;
Débile, et par accès tâchant de relever
Débile, et par accès tâchant de redresser
Tout le passé, croulant et terrible
Quelque horrible pilier de l’antique édifice…

Le chacal
Le renard près du loup

Le lâche près du fort…

Page 396.

Tyrans, soyez maudits…Puisse, à travers les cieux,
La nuit vous emporter d’un souffle furieux,
Et vous bouleverser de sa face vivante,
Et, le fouet de l’éclair aux mains, pâle et vivante,
Vous chasser, effarant dans la même
Vous poursuivre, mêlant dans l’immense épouvante…

III. L’Arrivée.


Page 397.

Les spectres firent halte.
Et l’ombre fit silence. Ils étaient arrivés.
L’espace était béant comme une porte ouverte.
L’eau lugubre
L’eau du fleuve coulait, d’obscurité couverte.

Page 398.

Et tout semblait hagard ; tant la machine affreuse…
Du grand charnier humain. quelque insondable seuil
Du grand sépulcre humain marquant le pâle seuil

Debout entre la tombe
Debout entre l’énigme et l’homme, sur un seuil
Spectre et réalité, sépulcrale et vivante,
D’un précipice où pend une éternelle chaîne,

Qui peut-être est le ciel, peut-être la géhenne,
Contenait de fureur, de nuit et d’épouvante !
Contenait de néant, d’épouvante et de haine !




Page 375.

Du fer d’Orman
Du fer d’Hérode
Du fer de Pie
Du fer d’Achab ainsi que du fer d’Attila…


Page 400.

Quel est ton crime ? — Ô Rois, dit la tête sinistre,
Quel est ton crime, ô toi qui vas, tête sinistre,
Je suis le petit-fils de votre petit-fils.
Plus pâle que le Christ sur son noir crucifix ?
Tous les règnes, hélas ! sont d’effrayants défis.
Je suis le petit fils de votre petit-fils.

Soit, mais quoi que ce soit qui ressemble à la haine…

Page 401.

Vivants, toutes les fois que ce globe de fer
Grandit l’éden avec ce qu’il ôte à l’enfer,
Augmente son éden, amoindrit son enfer,

Ébauche un peu d’éden, ruine un peu d’enfer,

Et qu’un chaos
Et qu’un piège se ferme, et qu’un sillon se creuse,
Et qu’un fléau s’éteint, et qu’un bien se déploie,
Et qu’une nuit finit, et qu’une aube flamboie,

Et qu’un écueil s’écroule, et qu’un phare flamboie,
Et que les hommes font des pas vers l’aube heureuse,
Et que les nations font des pas vers la joie…


Page 402.

Peuples, Demain n’est pas un monstre, hydre accroupie,
Peuples, Demain n’est pas un monstre qui nous guette,
Qui, du fond du tombeau du passé
Qui, du fond du tombeau des siècles, nous épie,

Ni la flèche qu’Hier en s’enfuyant nous jette.

Son bouclier est fait d’un soleil de progrès ;
Son bouclier où luit ce grand mot : Essayons !
Il dit à l’amour : Viens ! il crie au jour : Parais !
Est fait d’une poignée énorme de rayons.


  1. Ces quatre vers, formant variante dans cette pièce, se retrouvent dans un manuscrit publié sous le titre : La Guillotine (Toute la Lyre).
  2. Ces trois vers, formant variante ici, ont été publiés dans le Prologue de l’Année terrible.
  3. Les variantes entre crochets ont été retrouvées sur des brouillons isolés.
  4. Pour faciliter la lecture des variantes, nous faisons précéder les vers publiés du nom de chaque interlocuteur.