Les Travailleurs de la mer/Partie 1/Livre 4/3

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Émile Testard (Tome Ip. 223-225).


III

L’AIR « BONNY DUNDEE » TROUVE UN ÉCHO DANS LA COLLINE


Derrière l’enclos du jardin des Bravées, un angle de mur couvert de houx et de lierre, encombré d’orties, avec une mauve sauvage arborescente et un grand bouillon-blanc poussant dans les granits, ce fut dans ce recoin qu’il passa à peu près tout son été. Il était là, inexprimablement pensif. Les lézards, accoutumés à lui, se chauffaient dans les mêmes pierres au soleil. L’été fut lumineux et caressant. Gilliatt avait au-dessus de sa tête le va-et-vient des nuages. Il était assis sur une pierre dans l’herbe. Tout était plein de bruits d’oiseaux. Il se prenait le front à deux mains et se demandait : Mais enfin pourquoi a-t-elle écrit mon nom sur la neige ? Le vent de mer jetait au loin de grands souffles. Par intervalles, dans la carrière lointaine de la Vaudue, la trompe des mineurs grondait brusquement, avertissant les passants de s’écarter et qu’une mine allait faire explosion. On ne voyait pas le port de Saint-Sampson, mais on voyait les pointes des mâts par-dessus les arbres. Les mouettes volaient, éparses. Gilliatt avait entendu sa mère dire que les femmes pouvaient être amoureuses des hommes, que cela arrivait quelquefois. Il se répondait : Voilà. Je comprends, Déruchette est amoureuse de moi. Il se sentait profondément triste. Il se disait : Mais elle aussi, elle pense à moi de son côté ; c’est bien fait. Il songeait que Déruchette était riche, et que, lui, il était pauvre. Il pensait que le bateau à vapeur était une exécrable invention. Il ne pouvait jamais se rappeler quel quantième du mois on était. Il regardait vaguement les gros bourdons noirs à croupes jaunes et à ailes courtes qui s’enfoncent avec bruit dans les trous des murailles.

Un soir, Déruchette rentrait se coucher. Elle s’approcha de sa fenêtre pour la fermer. La nuit était obscure. Tout à coup Déruchette prêta l’oreille. Dans cette profondeur d’ombre il y avait une musique. Quelqu’un qui était probablement sur le versant de la colline, ou au pied des tours du château du Valle, ou peut-être plus loin encore, exécutait un air sur un instrument. Déruchette reconnut sa mélodie favorite Bonny Dundee jouée sur le bag-pipe. Elle n’y comprit rien.

Depuis ce moment, cette musique se renouvela de temps en temps à la même heure, particulièrement dans les nuits très noires.

Déruchette n’aimait pas beaucoup cela.