Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Second Ciel/Chapitre I

La bibliothèque libre.

SECOND CIEL.
MERCURE.

CHAPITRE PREMIER.

Planète de Mercure.


Le génie nous transporta dans le second ciel, qui est, comme l’on sait, la planette de Mercure. La rapidité de l’attraction qui nous attiroit, nous enleva avec une si grande violence, qu’elle nous ôta presque la respiration ; ce qui nous empêcha, Monime & moi, d’admirer mille beautés nouvelles qui s’offroient à nos regards.

Nous arrivâmes dans ce nouveau monde extrêmement fatigués. Nos gnomes, qui avoient pris les devants, nous attendoient sur la frontière, avec des équipages convenables à la dignité & à la dépense que doivent faire des seigneurs étrangers : mais, malgré l’impatience que nous avions de trouver un gîte qui pût nous procurer quelque repos, nous fûmes encore obligés de traverser de grandes forêts, & des plaines désertes & arides.

Le génie, pour dissiper l’ennui d’une route aussi peu amusante, voulut bien nous donner une idée des usages qui s’observent dans ce monde, & de la façon de penser de ceux qui l’habitent. C’est ici, nous dit-il, le séjour de l’opulence, du luxe, du faste, & de toutes sortes de magnificences ; de somptueux édifices ornent toutes les villes ; de beaux châteaux, des parcs admirables embellirent leurs campagnes. Dans toute cette planette, l’argent est le seul dieu, le seul ami, le seul mérite qu’on révère : ce métal ennoblit ; il donne de la naissance & de l’esprit aux personnes les plus stupides : il fait encore parvenir aux plus hautes dignités, quoiqu’on n’ait nulle sorte de talents pour les remplir : c’est ce qui fait qu’on n’est occupé dans ce monde que des moyens par lesquels on peut acquérir de grands biens. Pour y parvenir, on emploie toutes choses : la passion des richesses a toujours fait le caractère dominant de tous ces peuples, qu’on nomme Cilléniens : mais ils ont changé depuis quelques années leurs manières d’en user. Autrefois leurs grands principes étoient de conserver ce qu’ils avoient amassé : ils pensoient qu’il étoit juste de ménager avec soin ce qu’ils avoient su gagner avec bien des peines, & qu’il suffisoit d’avoir ses coffres pleins pour se faire des amis.

Aujourd’hui, cette façon de penser seroit regardée comme avarice. Ils ont entièrement changé leur méthode. Il n’est plus question de trésors, ni de coffres ; ou, s’ils en ont, ils n’ont certainement point de fond : car, malgré la prodigieuse quantité d’or qui y entre, ils sont toujours vuides. Aussi n’y a-t-il point de monde dans l’univers où l’on trouve plus de gens qui, tout-à-la-fois, paroissent puissamment riches, & extrêmement pauvres, parce que la plupart de ceux qui font une figure des plus brillantes, sont obérés de dettes ; & quoiqu’ils laissent après leur mort les plus beaux héritages, leurs enfans se trouvent néanmoins forcés de répudier l’hérédité. Avoir des dettes, est un titre de noblesse, & même de grandeur.

Cependant, écoutez-les raisonner sur leurs maximes ; elles sont admirables ; jamais ils ne parlent que de probité, d’honneur, de droiture & d’humanité : il leur échappe même quelquefois de vanter la conscience & la religion : mais toutes ces vertus sont regardées par la plus grande partie des citoyens, comme des préjugés de l'école ; préjugés dont ils savent bientôt se débarrasser. C’est néanmoins par cette apparence de bonne-foi qu'ils commencent leur réputation ; mais malheureusement ils la finissent trop souvent par la corruption. Chez eux, devoir, amitié, gratitude, ne sont plus que de vieilles chimères, ou d’anciennes erreurs, qui font les liens des sots ou des foibles, parce que l’influence qui les domine les pousse & les détermine au vrai génie d’intérêt, à celui de friponnerie & de brigandage ; ils cultivent ces odieux talens par étude, & les fortifient par expérience. L’avidité des richesses fait en eux le même effet que dans les autres mondes, l’ambition, les honneurs & la puissance : ils amassent de cent façons différentes, qui sont autant de fruits de l’industrie. Vous n’en verrez guères qui n’ait sur son compte plus d’une aventure où la probité a fait naufrage. Leur grand secret, pour se faire des créatures, est de promettre beaucoup, & de ne donner presque jamais. Ils ont pour principe, que le plus sûr chemin qu’on peut prendre pour obtenir l’estime des hommes, & le plus gracieux, est celui de la fortune. Il est certain que dans ce monde, avec de l’argent, on a de la science, de l’esprit, de la naissance, du crédit, du courage ; enfin, on a de tout, on donne le ton, on fait la loi. Par conséquent, c’est un abus de ne vouloir acquérir la considération des hommes que par des talens & des vertus ; cette voie est trop longue & trop pénible.

Cependant, en avançant dans la Cillénie, nous ne rencontrâmes d’abord que de misérables villages, dont les maisons couvertes de chaume & à demi-ruinées, n’offroient à nos yeux que d’affreuses tanières, plus propres à servir de retraites aux animaux sauvages, que ce logement à des êtres raisonnables : une multitude de personnes, de l’un & de l’autre sexe, portoient le sceau de l’indigence imprimé sur leur physionomie. Les haillons dont ils étoient couverts, leurs visages pâles & décharnés, leurs démarches tristes & languissantes, le silence farouche qu’ils gardaient, tout annonçait en eux des êtres flétris par le désespoir, & languissans sous le fardeau des besoins : des hommes sans vigueur suivaient tristement des vieillards épuisés : venoient ensuite des femmes entourées de plusieurs enfans, qu’elles traînoient avec peine ; elles ne paroissoient occupées que des moyens qu’elles pouvaient employer pour appaiser leur faim : ces pauvres malheureux sembloient regretter intérieurement le tems où leur lait suffisoit à leur subsistance, & où ils trouvoient dans leur sein la nourriture qu’on refusoit à leurs cris ; & ces pauvres petits individus, qui à peine commençoient à vivre, n’avoient déjà que trop vécu.

Monime & moi ne pûmes envisager ces misérables, sans nous sentir pénétrés d’une pitié douloureuse : nous leur fîmes distribuer de quoi les soulager.

Plus loin, notre pitié fut encore excitée par le spectacle le plus affreux : c’étoit de pauvres paysans à qui on enlevoit, à l’un, sa vache, seule ressource qu’il eût pour subvenir à ses besoins ; à l’autre, ses chevaux de labour : d’un autre côté, on voit de jeunes gens forcés de suivre des soldats, & d’abandonner leurs pères, en privant ces bons vieillards du secours de leurs bras, & par ce moyen on les mettoit hors d’état de payer leurs impositions ; ce qui n’empêchoit pas un barbare receveur de faire vendre, au nom du souverain, le lit, la marmite, & quelques autres méchans meubles de bois à demi-pourris. À cela, on joignoit aussi quelques mesures de grains destinés à la nourriture d’une femme, que l’âge & les infirmités mettoient dans l’impossibilité de pourvoir à la subsistance de quatre ou cinq jeunes filles, qui n’étoient encore que dans cet âge où l’on ne sait que souffrir.

Hélas ! s’écria Monime, le cœur rempli d’amertume, à l’aspect de tant de misère, quel plaisir prenez-vous à me tromper ? Pourquoi, mon cher Zachiel, voulez-vous abuser de ma crédulité ? Depuis que nous sommes sous votre conduite, je vous ai toujours regardé comme mon père, mon guide & mon soutien ; vous possédez toute ma confiance, & vous vous faites un jeu d’en abuser par des peintures aussi éloignées de la vérité ? Est-ce donc là ces richesses & cette opulence que je devois voir régner de toutes parts chez ces peuples ? Dites-moi, mon cher Zachiel, quel jugement j’en dois porter, lorsque je vois au contraire que rien n’est si malheureux que les Cilléniens ?

Loin de me fâcher de vos reproches, reprit le génie, je me félicite que votre impatience me les ait attirés ; ils me font remarquer ce tendre intérêt que vous prenez au sort des malheureux : il seroit à souhaiter pour eux que les personnes qui les gouvernent eussent autant d’humanité que vous en montrez l’un & l’autre. Soyez bien persuadée, ma chère enfant, que je ne cherche point à vous en imposer. Il est vrai que rien n’est comparable à la misère du paysan ; mais apprenez que dans la Cillénie, ce n’est que par la ruine totale d’un million d’âmes que l’on parvient à faire un riche. Un favori de Plutus dépense plus en un seul repas, que ne produit l’année du revenu de tout un village. C’est pour fournir à ces somptuosités, qu’on exerce tous les jours sur eux mille vexations indignes, & ce que vous venez de voir, n’est encore qu’un foible tableau de la misère qui règne actuellement dans presque toutes les campagnes. Reprenez, belle Monime, votre humeur enjouée, poursuivit le génie en souriant, accoutumez-vous à prendre les façons de ce monde, & sachez qu’ici tous les cœurs se roidissent contre la charité & l’humanité. On n’y fait point l’aumône. Au milieu d’un luxe qui annonce la plus grande opulence, on dit tranquillement à un pauvre qu’on n’a rien ; & loin d’être touché de leurs maux, on ne les soulage que par des bénédictions.

Nous découvrîmes enfin une grande ville, que Zachiel nous dit être une des capitales de la Cillénie. Arrivé à l’entrée d’un fauxbourg, je fus extrêmement surpris de voir arrêter tous nos équipages, ouvrir & renverser quelques-unes de nos malles. Monime, qui les prit pour des voleurs, parut d’abord saisie de crainte ; mais le génie, pour la rassurer, lui dit, que ces hommes étoient préposés pour visiter tout ce qui entroit dans la ville. Je trouve, dit Monime, cette curiosité fort extraordinaire, qu’il faille que des gens que nous ne connoissons point, fassent l’inventaire de nos effets : quel usage en veulent-ils faire ? Apprenez, dit Zachiel, que ces gens cherchent a s’emparer d’une partie de vos effets, qu’ils regardent comme une capture qui peut les enrichir ; & sur le prétexte que ce sont des marchandises prohibées, ils prétendent vous en frustrer en les saisissant. Pourquoi, demandai-je, souffre-t-on de pareilles injustices ? Ne peut-on pas s’en plaindre à leur supérieur ? Cela seroit inutile, dit le génie : si quelqu’un chez les Cilléniens veut entreprendre de se faire rendre la justice qui lui est due, il est ruiné avant de pouvoir l’obtenir. Ces gens ici sont soutenus par ceux qui les employent, dont la plupart ont été les valets, & ils n’ignorent pas que celui qui les a mis dans ce poste, l’a lui-même été d’un autre : c’est ce qui fait naître en eux cet esprit de cupidité, & cette idée de fortune, à laquelle ils espèrent parvenir.

Cependant, pour satisfaire à l’impatience de Monime, je me donnai beaucoup de soins, afin d’engager ces Messieurs de nous expédier promptement : mais ils me répondirent d’une façon brutale, que leur bureau étoit embarrassé, que la multitude de nos bagages demandoit au moins trois ou quatre heures, & que notre empressement ne les feroit pas avancer davantage. Zachiel qui remarquait notre inquiétude, eut bientôt trouvé la façon de nous en délivrer, en leur glissant adroitement dans la main quelques pièces d’or. Alors ils radoucirent leurs tons, nous dirent qu’ils ne vouloient pas arrêter plus long-tems des seigneurs comme nous, donnèrent la liberté à nos cochers de passer, & nous saluèrent très-respectueusement. Nous traversâmes une partie de la ville, afin de nous rendre dans le plus beau quartier, où un hôtel très-bien meublé nous étoit préparé. J’admirois dans certains endroits la hauteur des maisons, qu’on auroit pu prendre pour autant de tours de Babel : peut-être les gens qui les habitent parlent-ils aussi diverses langues. Arrivés dans notre hôtel, nous passâmes quelques jours à nous reposer, & nos domestiques s’occupèrent à vuider nos malles, qui, quoiqu’elles renfermassent les habits les plus galans, notre intendant nous assura qu’ils n’étoient pas assez riches pour pouvoir figurer dans ce monde. C’est pourquoi Zachiel nous proposa d’aller chez les marchands qui avoient la réputation d’employer les meilleures manufactures, afin d’y choisir les étoffes les plus riches & les plus nouvelles.

Le brillant de notre équipage, le nombre de nos domestiques, mit d’abord le marchand, sa femme & tous ses garçons en mouvement, plusieurs anciennes étoffes, ce qu’on appelle des garde-magasins, furent déployées, en protestant sur leur honneur qu’elles étaient nouvelles. Les plus grands princes furent cités pour en avoir de pareilles, & les dames de la cour en faisoient leurs plus belles parures : mais comme elles n’étoient point du goût de Monime, ils furent contraints de nous en montrer de nouvelles, qu’ils nous assurèrent que personne n’avoit encore vu, les caisses venant d’arriver. Le marchand employa toute son éloquence, qui ne consistoit qu’en des termes de probité, de conscience & d’honnête homme ; termes dont les Cilléniens se servent presque à chaque phrase, & qui néanmoins ne signifient autre chose, que l’envie qu’ils ont de vous duper.

Monime, peu au fait de ces usages, s’y seroit laissé surprendre, si Zachiel ne l’eût avertie, qu’on lui surfaisoit ces étoffes de moitié. Après s’être bien débattu, on convint du prix, & le calcul fait du montant, Monime un peu embarrassée, fit signe à Zachiel, que sa bourse n’était pas assez garnie pour y satisfaire : il sourit de son inquiétude, & sans lui répondre, il dit au marchand d’en charger son livre de compte, & d’envoyer son mémoire à l’hôtel ; ce qui ne fit aucune difficulté. Remontés dans notre voiture avec les marchandises, quelle est donc votre simplicité, dit Zachiel, de vouloir payer comptant? Apprenez que les gens d’un certain ton doivent toujours prendre à crédit, & que si on ne doit de toutes parts, on est regardé comme des personnes à qui il ne faut rien confier ; &, qui pis est, comme des gens remplis d’ordre : ce qui est ici du dernier ridicule. Ainsi, ma chère Monime, si vous voulez vous conformer aux belles manières & suivre les maximes de ce monde, vous devez toujours disputer avec la plus grande chaleur, lorsqu’on vous demande le prix de votre dépense, & ne jamais payer, sans dire aux marchands des choses dures & désagréables.

Lorsque nous fûmes en état de paroître avec assez de magnificence pour être bien reçus dans les bonnes compagnies ; car il est bon d’avertir que chez les Cilléniens, ce n’est que l’habit & les équipages qu’on honore : un homme, souvent de la plus basse extraction, qui s’annonce d’un air bruyant, est le plus estimé : la prospèrité cache tous ses défauts & tous ses ridicules : c’est un aimable homme ; il est riche, sa table est bien servie, son équipage bien doré ; nombre de domestiques l’accompagnent ; il fait beaucoup de dépense, il joue gros jeu ; en voilà assez pour mériter toute leur estime ; mais il s’en faut bien que le vrai mérite s’empare ainsi de leur vénération ; ses charmes trouvent toujours des envieux & des critiques : tous les admirateurs suivent la fortune, & se consacrent à ses favoris.

Nous fûmes donc aisément introduits dans les maisons les plus opulentes. Monime qui, comme toutes les personnes d’esprit, aimoit un peu à parler, parce qu’on les écoute toujours avec plaisir, lorsqu’elles ont ce brillant & cette légéreté qui fait l’agrément de la conversation, Monime, dis-je, fut très-surprise & même un peu fâchée de voir dans tous les endroits où nous allions, qu’il n’étoit presque pas question de conversation. À peine les premières révérences étoient-elles faites & rendues, qu’un valet de chambre apportoit des tables, & rangeoit autour trois ou quatre sièges : alors on vous faisoit tirer des petits bâtons de nacre ou d’ivoire. Vous alliez vous ranger où le sort vous avoit placé, & chacun déployoit un paquet qui renfermoit des morceaux de cartons barbouillés de différentes façons, les uns en rouge, d’autres en noir, auxquels on donnoit des noms de César, Alexandre, Hector, Pallas, Judith, & d’autres apparemment convenables à la peinture qu’ils représentoient. On passoit six ou sept heures de suite à mêler à son tour ces cartons, dont on distribuoit à la ronde à chacun un pareil nombre, qu’ils étoient obligés ensuite de jetter l’un après l’autre sur la table, & d’autres fois tous ensemble : un autre les relevoit, afin de recommencer la distribution ; & cette occupation puérile duroit, comme j’ai dit, une partie de la journée. Ce que je trouvai de singulier, est que tout cela se faisoit avec le plus grand sérieux du monde : il sembloit que l’arrangement fortuit de tous ces cartons dût décider du sort de l’état : à peine se disoit-on un mot, & ce mot comme échappé, ne rouloit que sur la façon de jetter son carton : les uns paraissaient d’une gaieté extrême ; les autres, tristes & chagrins, avoient bien de la peine à dissimuler au-dehors les transports violens dont ils étoient agités au-dedans : quelquefois on se fâchoit les uns contre les autres ; on disputoit avec feu, & la séance se terminoit toujours par compter de l’argent. Je regardois cette occupation comme un travail de l’esprit ; mais il a plu aux Cilléniens de lui donner le nom de jeu : quelques-uns y passent la plus grande partie de leur vie : on peut dire que le jeu est chez eux une de ces maîtresses passions, qui les conduit souvent à leur perte. On trouve de ces petits cartons dans toutes les maisons, dont on se sert de cent différentes façons. En général, il ne faut ni industrie, ni esprit, ni savoir pour tous ces jeux : il n’y a que la cupidité & l’espérance du gain qui puisse les faire goûter. Il est vrai qu’on y hasarde des sommes considérables. Plusieurs y ont fait d’immenses fortunes ; mais aussi plusieurs s’y sont entièrement ruinés. Il y a des maisons qui ne se soutiennent qu’en donnant à jouer ; c’est la ressource de quantité de personnes que le luxe, le jeu & la bonne chère ont ruinées. Chez eux se rassemblent plusieurs filoux, qui forment entr’eux une société : il semble dans bien des maisons que le jeu ennoblisse ; les états y sont confondus ; celui de joueur met tout à l’unisson ; il est en société avec les grands ; c’est un honnête homme ; il joue noblement & les imbécilles que la passion aveugle, ne s’aperçoivent pas qu’il les dupe & brille à leurs dépens. J’allai un jour dans une de ces académies, qui me parut un vrai coupe-gorge : on y jouoit à des jeux qu’ils nomment de hazard. J’en vis qui, de désespoir, avaloient des quarrés d’ivoire, parce qu’ils étoient tombés sur un mauvais point : d’autres se mordoient les doigts, & mangeoient des cartons qu’ils avoient pliés & repliés de plusieurs cornes, jurant & se maudissant de la meilleure foi du monde. J’en remarquai aussi qui, plus fins que les autres, savoient le secret de se rendre la fortune favorable, par des subtilités & des tours de souplesse. Mais si le gain n’est pas toujours légitime, il est toujours bien assuré. Les dettes du jeu sont chez les Cilléniens les dettes privilégiées, & par préférence à toutes autres, on les appelle dettes d’honneur : faire banqueroute, frustrer ses créanciers, ruiner sa famille, violer ses sermens, trahir ses amis, cela chez eux y est regardé comme gentillesse ou espiéglerie : mais ne pas satisfaire aux dettes du jeu, c’est un déshonneur.