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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Benedetto da MAIANO

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Benedetto da MAIANO
Sculpteur et architecte florentin, né en 1442, mort en 1497

Benedetto[1] da Maiano, sculpteur florentin, pratiquant dans ses premières années la décoration en bois sculpté, fut regardé dans ce métier comme le maître le plus habile à manier les outils. En particulier, il fut artiste parfait dans ce genre, mis en usage du temps de Filippo Brunelleschi et de Paolo Uccello, de réunir des bois teintés de diverses couleurs et d’en composer des perspectives, des feuillages et d’autres fantaisies, comme on peut le voir dans toutes les armoires de la sacristie de Santa Maria del Fiore, dont il acheva la plus grande partie après la mort de son oncle Giuliano[2], et qu’il couvrit de figures rapportées, de feuillages et d’autres travaux d’une magnificence et d’une beauté extraordinaires. Étant parvenu en grande renommée par la nouveauté de cet art, il fit de nombreux travaux qui furent envoyés en différents pays et à divers princes. Entre autres, le roi Alphonse de Naples lui fit faire l’ornementation d’un cabinet, sous la direction de Giuliano, son oncle, qui était au service du roi pour les œuvres d’architecture. Benedetto se rendit donc à Naples ; mais, comme le séjour de cette ville ne lui plut pas, il retourna à Florence. Peu de temps après, ayant exécuté pour Mathias Corvin, roi de Hongrie, qui avait à sa cour beaucoup de Florentins et se plaisait aux choses rares, deux coffres ornés de bois assemblés, d’un travail difficile et merveilleux, il se décida à se rendre auprès du roi qui l’appelait avec beaucoup de faveur. Ayant donc emballé ses coffres et s’étant embarqué avec eux, il s’en alla en Hongrie. Là, s’étant respectueusement présenté au roi, qui l’accueillit avec bienveillance, il fit venir ses coffres, et les ayant fait déballer en présence du roi qui désirait vivement les voir, il s’aperçut que l’humidité et l’air salin avaient amolli la colle, de manière que, lorsqu’on déroula les toiles cirées, presque tout le placage des coffres tomba à terre. Je laisse à penser si Benedetto resta étourdi et sans voix en présence de tant de seigneurs. Toutefois, ayant remis tout le travail ensemble le mieux qu’il put, il fit en sorte que le roi se déclara très satisfait. Mais il prit cet art en dégoût et ne voulut plus s’y livrer, par suite de la honte qu’il en avait éprouvée. Laissant donc toute timidité de côté, il s’adonna à la sculpture dans laquelle il avait déjà, étant à Loreto avec Giuliano, son oncle, fait pour la sacristie un lavabo avec quelques anges en marbre. Avant de quitter la Hongrie, il fit reconnaître au roi, par cet art, que si, à son arrivée, il avait éprouvé une humiliation, la faute en était à ce métier qui était inférieur, et non pas à son esprit qui était élevé et varié. Ayant donc produit quelques œuvres en terre et en marbre qui plurent infiniment au roi, il s’en retourna à Florence où, à peine revenu, il lui fut alloué par la Seigneurie défaire l’ornementation en marbre[3] de la porte de leur salle d’audience ; il y plaça plusieurs enfants qui, avec leurs bras, soutiennent des festons qui sont très beaux, et parmi lesquels la plus remarquable figure est celle du milieu, qui représente un petit saint Jean haut de deux brasses. Pour que toute l’œuvre fût de sa main, il fit les deux battants et y représenta en bois rapportés les deux figures de Dante et de Pétrarque[4], qui peuvent faire connaître à celui qui n’aurait pas vu d’autre œuvre de Benedetto quel maître rare et excellent il fut. À Santa Maria Novella, il fit ensuite, dans la chapelle qui fut peinte par Filippino, un tombeau en marbre noir, et, dans un médaillon, la Madone avec quelques anges[5], pour Filippo Strozzi l’ancien, dont le portrait en marbre[6] est actuellement dans son palais. Laurent l’Ancien de Médicis lui fit faire également le buste de Giotto[7], qui fut placé, à Santa Maria del Fiore, au-dessus de l’épitaphe de ce peintre ; c’est une remarquable sculpture en marbre. Benedetto étant allé ensuite à Naples à cause de la mort de Giuliano, son oncle, dont il était héritier, fit quelques travaux pour le roi, et, pour le comte de Terranuova[8], au monastère de Monte Oliveto, un bas-relief en marbre représentant une Annonciation entourée de saints et d’enfants très beaux qui soutiennent des festons. Sur la prédelle de cette œuvre, il exécuta plusieurs bas-reliefs dans une belle manière.

À Faenza, il fit[9] un très beau tombeau en marbre, destiné à recevoir le corps de San Savino, et sur lequel il sculpta, en bas-reliefs, six sujets tirés de la vie du saint, avec beaucoup d’invention et de dessin dans la représentation des édifices et des figures. Avant de partir de la Romagne, on lui donna à faire le portrait de Galeotto Malatesta[10]. Il fit encore, je ne sais si c’est avant cette œuvre ou après, le portrait d’Henri VII, roi d’Angleterre[11], d’après un dessin que lui donnèrent des marchands florentins. Les ébauches de ces deux bustes furent retrouvées dans sa maison, après sa mort, avec beaucoup d’autres choses.

Étant finalement de retour à Florence, il fit pour Pietro Mellini[12], citoyen florentin et très riche marchand d’alors, la chaire en marbre[13] de Santa Croce, que je regarde comme le plus beau et le plus précieux monument qui ait jamais été fait en ce genre. En effet, les figures des histoires de saint François sont exécutées avec une telle perfection que l’on ne peut rien demander de plus au marbre. Benedetto y représenta des arbres, des rochers, des édifices, des perspectives ; on voit encore au pied de la chaire son rabattement par terre sous forme de pierre tombale ; le tout fait avec un dessin qu’on ne saurait assez louer. On dit que dans ce travail il eut quelques difficultés avec les fabriciens de Santa Croce, parce que, comme il voulait appuyer sa chaise à une colonne qui reçoit plusieurs arcs de support du toit et percer cette colonne pour y pratiquer l’entrée et l’escalier de la chaire, ceux-ci refusèrent craignant que la colonne ainsi affaiblie par le vide de l’escalier ne pût résister au poids qui la surchargeait et n’entraînât la ruine d’une partie de l’église. Mais comme Mellini leur assura que l’ouvrage se terminerait sans danger pour l’église, ils furent finalement contents. En effet, après avoir extérieurement armé de liens en bronze la colonne, c’est-à-dire la partie qui de la chaire jusqu’en bas est recouverte de pierre forte, Benedetto pratiqua intérieurement l’escalier pour monter à la chaire, et autant il évida la colonne à l’intérieur, autant il la renforça à l’extérieur dans la manière où on la voit à présent.

Plusieurs affirment que Filippo Strozzi l’ancien, voulant faire construire son palais, s’en ouvrit à Benedetto qui lui fit un modelé d’après lequel on commença la construction, mais qui fut terminée par le Cronaca, après la mort de Benedetto. Celui-ci, ayant amassé de quoi vivre, ne voulut plus entreprendre aucun travail en marbre. Il termina, seulement, à Santa Trinità, la sainte Marie-Madeleine[14], commencée par Desiderio da Settignano et fit le Crucifix[15] qui est sur l’autel de Santa Maria del Fiore, ainsi que d’autres analogues. Quant à l’architecture, bien qu’il ait mis la main à peu d’œuvres, il y montra néanmoins autant de jugement de cet art qu’en sculpture, particulièrement dans les trois somptueux plafonds qui furent faits, d’après ses dessins et sur ses conseils, dans le palais de la Seigneurie de Florence[16]. Le premier est celui de la salle connue, aujourd’hui, sous le nom de Salle des Deux-Cents et au-dessus de laquelle il s’agissait de disposer non une salle semblable, mais deux chambres, dont l’une, destinée aux audiences, devait être séparée de l’autre par un mur solide percé d’une porte en marbre. Benedetto, pour ne pas diminuer la hauteur de la Salle des Deux-cents, opéra de la manière suivante : sur une poutre épaisse d’une brasse et aussi longue que la largeur de la salle, il en attacha une autre, en deux morceaux, de manière qu’il l’élevait ainsi de deux tiers de brasse. Chacune des deux extrémités, parfaitement liées et assemblées, présentait, à côté du mur, deux brasses d’élévation et servait de support à un arc en briques doubles, dont les flancs étaient appuyés contre les murs principaux. Les deux poutres étaient emboîtées et enchaînées avec de solides crampons enfer, de manière à n’en former qu’une seule. En outre, afin d’alléger la charge des poutres du plafond, Benedetto arma l’arc de deux grands étriers de fer, solidement cloués sur les poutres qui les raidissaient et les rendaient capables de soutenir un poids bien plus considérable encore que celui du mur en briques qui n’avait qu’une demi-brasse d’épaisseur. De cette manière, il conserva à la Salle des Deux-Cents toute sa hauteur et parvint à établir au-dessus, dans le même espace, au moyen d’un mur de séparation, la salle connue aujourd’hui sous le nom dell’Orinolo et la salle d’audience, où le Salviati a peint le triomphe de Camille. Et comme la porte de marbre fut faite double, sur l’arc de celle intérieure, il fit une statue assise de la Justice, en marbre[17], tenant le globe du monde d’une main, et de l’autre une épée, avec l’inscription suivante, sur l’arc : Diligite justiniam, qui judicatis terram. Toute cette œuvre fut conduite avec un soin et un art merveilleux.

À la Madonna delle Grazie[18], à peu de distance d’Arezzo, ayant à construire un portique et un escalier, en avant de la porte, il jeta des arcs sur les colonnes ; près du toit il établit une architrave, une frise et une corniche, et, pour larmier, il sculpta, en pierre de macigno, une guirlande de rosaces formant une saillie d’une brasse et un tiers ; en sorte que, entre la saillie du fronton et la ligne de dentelures et d’oves, placée sous le larmier, on compte deux brasses et demie ; en y ajoutant la demi-brasse des tuiles, on a trois brasses environ pour le toit. Dans ce travail, le procédé de Benedetto est digne d’attirer l’attention des artistes. Voulant que le toit avançât en dehors, sans être supporté par des modillons ou par des consoles, il fit ces pierres plates où sont sculptées les rosaces, faisant saillie de leur demi-longueur et l’autre moitié murée solidement. De cette manière, étant contrebutées, elles peuvent supporter, de la partie libre, tout ce qu’on y a superposé jusqu’à nos jours, sans danger pour la construction. Et pour que l’on ne s’aperçut pas de la fragmentation de ces dalles formant plafond, il encastra leur extrémité dans une corniche extérieure, de manière que l’œuvre paraît d’un seul morceau. Dans la même église, il fit un plafond couvert de rosaces dorées que l’on admire beaucoup.

Benedetto ayant acheté un domaine, à un demi-mille de Prato, en sortant par la Porta Fiorentina et en se dirigeant vers Florence, fit sur la grande route, à côté de la porte de son domaine, une très belle petite chapelle[19], dans une niche de laquelle il plaça une Madone, tenant l’Enfant Jésus, modelés en terre, d’une seule couleur, en sorte qu’ils sont aussi beaux que s’ils étaient en marbre. Il en est de même de deux anges, placés au sommet en guise d’ornement, dont chacun tient un chandelier à la main. Sur le devant de l’autel, il y a une Pietà en marbre, avec une Madone et un saint Jean qui est très beau.

À sa mort, il laissa dans sa maison une quantité d’ébauches en terre et en marbre. Finalement, étant âgé de 54 ans, il mourut en 1498[20] et fut honorablement enseveli à San Lorenzo[21]. Il ordonna dans son testament qu’après la mort de quelques-uns de ses parents, tous ses biens passassent à la Compagnia del Bigallo.


  1. Frère cadet de Giuliano da Maiano.
  2. Son frère aîné ; ces armoires sont encore en place.
  3. Actuellement en France, dans une collection particulière, sauf le saint Jean qui est au Musée national.
  4. Existent encore ; travail terminé en 1480 par Giuliano da Maiano et le Francione.
  5. En place, dans la chapelle Strozzi.
  6. Actuellement au Louvre, signé intérieurement : BENEDICTVS. DE. MAIANO. FECIT.
  7. L’inscription mentionne qu’il fut commandé par la Seigneurie en 1490 ; en place, à droite en entrant.
  8. Mort en 1490. Sculpture en place.
  9. En 1493 ; ce tombeau existe encore.
  10. N’existe plus.
  11. Ibid.
  12. Le buste de Pietro Mellini par Benedetto est au Musée national. Signé, daté An 1474.
  13. Toujours en place.
  14. Existe encore.
  15. En bois ; en place.
  16. Ces travaux, commandés le 12 juin 1473, furent faits par Giuliano da Maiano et le Francione.
  17. Qui n’existe plus.
  18. Cette église existe encore, avec quelques marches en moins dans le perron.
  19. Ce tabernacle a été transporté dans la cathédrale de Prato.
  20. Le 24 mai 1497.
  21. Voir la Vie de Giuliano da Maiano. Le testament de Benedetto est du 19 avril 1492.