Lettres à Sixtine/Je sors de chez ces bourgeois

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23 mai 1887, lundi, 11 h. soir.


JE sors de chez ces bourgeois, ma très chère amie, et je sens le besoin de me plonger, d’imagination, dans un océan de parfums, vos cheveux, vos yeux, vos lèvres, les étoffes de votre corsage. Si vous trouvez cela excessif, déjà écrit, du moins vous l’aurez lu, si vous le détruisez.

De vous comparer à ce milieu ce serait ridicule, mais combien ce monde me fait plus encore sentir tout votre prix, et l’impossibilité de vivre sans vous et parmi eux.

Pourtant, qu’ils me reçoivent d’une façon engageante, mais combien je les dédaigne et que je m’y ennuie !

Je ne puis guère vous dire de longues phrases, étant cramponné par X…, l’homme pratique, mais c’est une satisfaction d’écrire en face de lui des choses qu’il ne saurait comprendre.

Tel est l’effet d’un jour sans vous voir, et il faut se mettre, même illusoirement, en communication avec vous et vous dire ce que je sentirais si j’étais près de vous.

Il me semble, après vingt-quatre heures d’absence, que je suis loin, très loin, dans un autre pays, dans un autre monde, et je ne me retrouve qu’en m’épanchant vers vous.

Inutiles peuvent vous paraître ces quelques lignes incohérentes ; il me les faut.

A demain, ma très chère amie et très chère reine, je vous aime uniquement.