Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 42

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 113-115).

42. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GiUGNAN.[modifier]

À Paris, samedi 4 avril 1671.

Je vous mandai l’autre jour[1] la coiffure de madame de Nevers, et dans quel excès la Martin avait poussé cette mode ; mais il y a une certaine médiocrité qui m’a charmée, et qu’il faut vous apprendre, afin que vous ne vous amusiez plus à faire cent petites boucles sur vos oreilles, qui sont défrisées en un moment, qui siéent mal, et qui ne sont non plus à la mode présentement, que la coiffure de la reine Catherine de Médicis. Je vis hier la duchesse de Sully et la comtesse de Guiche : leurs têtes sont charmantes ; je suis rendue, cette coiffure est faite justement pour votre visage ; vous serez comme un ange, et cela est fait en un moment. Tout ce qui me fait de la peine, c’est que cette mode, qui laisse la tête découverte, me fait craindre pour les dents. Voici ce que Trochanire[2], qui vient de Saint-Germain, et moi, nous allons vous faire entendre, si nous pouvons. Imaginez-vous une tête partagée à la paysanne jusqu’à deux doigts du bourrelet ; on coupe les cheveux de chaque côté, d’étage en étage, dont on fait deux grosses boucles rondes et négligées, qui ne viennent pas plus bas qu’un doigt au-dessous de l’oreille ; cela fait quelque chose de fort jeune et de fort joli, . et comme deux gros bouquets de cheveux de chaque côté. Il ne faut pas couper les cheveux trop courts ; car comme il faut les friser naturellement, les boucles, qui en emportent beaucoup, ont attrapé plusieurs dames, dont l’exemple doit faire trembler les autres. On met les rubans comme à l’ordinaire, et une grosse boucle nouée entre le bourrelet et la coiffure ; quelquefois on la laisse traîner jusque sur la gorge. Je ne sais si nous vous avons bien représenté cette mode ; je ferai coiffer une poupée pour vous l’envoyer ; et puis, au bout de tout cela, je meurs de peur que vous ne vouliez point prendre toute cette peine. Ce qui est vrai, c’est que la coiffure que fait Montgobert n’est plus supportable. Du reste, consultez votre paresse et vos dents ; mais ne m’empêchez pas de souhaiter que je puisse vous voir coiffée ici comme les autres. Je vous vois, vous m’apparaissez, et cette coiffure est faite pour vous : mais qu’elle est ridicule à certaines dames, dont l'âge ou la beauté ne conviennent pas !

Madame de la Troche.

Madame de Sévigné a voulu avoir l’avantage de vous décrire cette coiffure ; mais, ma belle, cest moi qui lui dictais. Madame, vous serez ravissante ; tout ce que je crains, c’est que vous n’ayez regret à vos cheveux. Pour vous fortifier, je vous apprends que la reine, et tout ce qu’il y a de filles et de femmes qui se coiffent à Saint-Germain, achevèrent hier de les faire couper. par la Vienne ; car c’est lui et mademoiselle de la Borde qui ont fait toutes les exécutions. Madame de Crussol vint lundi à Saint-Germain, coiffée à la mode ; elle alla au coucher de la reine, et lui dit : Ah ! madame, Votre Majesté a donc pris notre coiffure ? Votre coiffure ! lui répondit la reine ; je vous assure que je n’ai point voulu prendre votre coiffure ; je me suis fait couper les cheveux, parce que le roi les trouve mieux ainsi : mais ce n’est point pour prendre votre coiffure. On fut.un peu surpris du ton avec lequel la reine lui parla. Mais voyez un peu aussi où madame de Crussol allait prendre que c’était sa coiffure, parce que c’est celle de madame de Moutespan, de madame de Nevers, de la petite de ïhiauges, et de deux ou trois autrès beautés charmantes qui l’ont hasardée les premières I Je vous ai vue vingt fois prête à l’inventer ; cela me fait croire que vous n’aurez point de peine à comprendre ce que nous vous en écrivons. Madame de Soubise, qui craint pour ses dents, parce qu’elle a déjà été une fois attrapée aux coiffures à la paysanne, ne s’est point fait couper les cheveux ; et mademoiselle de la Borde lui a fait une coiffure qui est tout aussi bien que les autres par les côtés : mais le dessus de sa tête n’a garde d’être galant, comme celles dont on voit la racine des cheveux. Enfin, madame, il n’est question d’autre chose à Saint-Germain ; et moi, qui ne veux point me faire couper les cheveux, je suis ennuyée à la mort d’en entendre parler.

Madame de Sévigné.

Cette lettre est écrite hors d’œuvre chez Trochanire. La comtesse (de Flesque) vous embrasse mille fois ; le comte, que j’ai vu tantôt, voudrait bien en faire autant : je lui ai dit votre souvenir, et le dirai à tous ceux que je trouverai en chemin.

Après tout, nous ne vous conseillons point de faire couper vos beaux cheveux ; et pour qui, bon Dieu ? Cette mode durera peu ; elle est mortelle pour les dents : taponnez-vous seulement par grosses boucles, comme vous faisiez quelquefois ; car les petites boucles rangées de Montgobert sont justement du temps du roi Guillemot.


  1. Voyez la lettre du 18 mars 1671, p. 102.
  2. Madame de la Troche.