Lettres de Jules Laforgue/036

La bibliothèque libre.
Lettres. — I (1881-1882)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome IVp. 150-152).
◄  XXXV.
XXXVII.  ►

XXXVI

À CHARLES EPHRUSSI

[Baden-Baden, 1er mai 1882].
Cher Monsieur Ephrussi,

C’est aujourd’hui lundi. J’ai lu votre lettre avant-hier samedi au soir en arrivant ici (Bade, maison Mesmer) où votre lettre m’avait précédé.

Votre lettre était adressée à Berlin, où je n’étais plus, ayant passé dix jours à Wiesbaden avant de venir ici.

Je vous remercie d’avoir songé à moi pour parler de votre livre dans la Gazette. Je voulais vous le dire tout de suite, mais figurez-vous qu’ici, le dimanche, la poste reste fermée tout le jour, et qu’il n’y a pas moyen de se procurer un timbre-poste.

Mais je me suis déjà mis au travail. J’espère que vous serez content de ce que je vous enverrai. Quelque chose digne de votre livre et digne du temple de la rue Favart où préside M. Lostalot[1], assembleur des nuages et projecteur d’éclairs.

Les huit pages vous seront remises le 12 mai exactement — à moins d’un vol des Postes.

Ce que vous me dites comme points sur lesquels insister m’aide beaucoup. Si vous avez encore à préciser des points, faites. Ma machine n’en sera que mieux. Et encore une fois, merci de ce début que vous me procurez. Je vous dis adieu. Ce travail va me désespleeniser pour un mois. Et d’ici là les Aveux[2] auront paru. Nous avons ici dans le Kursaal un cabinet de lecture auquel je n’ai pas encore rendu visite, mais où j’espère trouver la Gazette.

Dans quel travail êtes-vous plongé ? Un tirage à part de votre His de la Salle ? Vos portraits ? Avez-vous de nouveaux impressionnistes ? Dans toutes les villes, je crois, ici, il y a une Kunst Ausstellung permanente. Mais on n’y voit jamais rien, rien. C’est lamentable et sanglotant. M. et Mme Bernstein sont-ils rentrés sous leur tente ? Toute votre famille se porte-t-elle bien ? Avez-vous de la verdure au Parc Monceau ? Et plus de maçons, de plâtriers, de charpentiers brutaux dans votre rue, avec l’horrible marchand de vins d’en face ? Les fleurs et les oiseaux de votre robe japonaise (ou autre) ont-elles toujours leur fraîcheur ?

Adieu.

Votre
Jules Laforgue.

  1. A. de Lostalot, secrétaire de la rédaction de la Gazette des Beaux-Arts.
  2. Recueil de poèmes de M. Paul Bourget.