Lettres de Jules Laforgue/043

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Lettres. — I (1881-1882)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome IVp. 170-172).
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XLIII

À M. CHARLES HENRY

Coblentz, jeudi [22 ou 29 juin 1882].
Mon cher Henry,

J’ai reçu votre lettre hier. Je suis très fou de ce que vous me citez de ce volume d’Antoine Cros. Il y a là beaucoup d’art, n’est-ce pas ? Peut-être prendrez-vous cela pour une critique. Vous auriez tort. Enfin, moi, j’aime beaucoup cet art-là. L’an prochain nous aurons peut-être autre chose, une autre formule. Affaire d’humeur, de nerfs.

Ce que vous me dites des miens m’a enchanté. Mais je ne suis pas encore bien raffiné en fait de facture ; j’entrevois toute une symbolique des coupes, mais hélas !

Ah ! çà, mais vous colportez donc mes vers ! Où donc les avez-vous lus ? Et qu’est-ce que ce voyage dont vous parlez ? Et le volume du poète de la rue Denfert ?

Les Heures pâles, cela paraîtra-t-il avant que j’aille à Paris ?

Vous n’avez lu qu’une pièce des Aveux de Bourget. Je vous assure que c’est un livre étonnant, et que le monsieur est un monsieur extraordinaire et unique.

Quand donc me direz-vous ce qui en est de vos visites rue Denfert où vous faites croire que j’ai laissé des regrets ?

Qu’est-ce que c’est que ces ennuis financiers qui vous forceront à aller à la campagne en juillet ?

Enfin, il est assez probable que je serai à Paris fin septembre et peut-être commencement octobre.

Ah ! oui, si nous pouvions faire ce voyage en automne, ce serait une belle note dans notre vie ! Mais il m’est impossible d’y songer. En octobre je reviendrai à Bade, puis de là à Coblentz, et en décembre à Berlin. Impossible.

Vous ai-je parlé de Coblentz ? Non, c’est une ville que j’adore. Il y a des ruelles extraordinaires, des maisons à pignon, un vieux pont gigantesque aux piles duquel poussent des arbustes. Et les quais, la manœuvre des radeaux, etc. J’apaise toutes mes nostalgies de bonhomme né dans un port de mer[1].

Quand écrirez-vous un roman ? Quand ?

Que voulez-vous dire par : « En ce moment je suis en veine d’acquérir la réputation de jeune homme obligeant ? »

Votre admirateur aussi.

Jules Laforgue.

  1. Jules Laforgue était, rappelons-le, né à Montevideo.