Lettres de Jules Laforgue/045

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Lettres. — I (1881-1882)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome IVp. 176-177).
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XLV

À Mme MULLEZER

Coblentz, jeudi [13 juillet 1882].
Étrange et Chère Madame,

J’espère que ma lettre arrivera avant votre départ.

J’avais peur, devant votre silence, que ce sonnet ne vous eût fâchée.

Il n’en est rien[1]. Quand nous fâcherons-nous un peu ?

Dans une semaine, je serai probablement à Paris. Pour que vous ne me mettiez pas à la porte, je vous envoie votre sonnet.

N’allez pas devant ces vers-ci,
Ô spécimen du faible sexe,
En un accent très circonflexe
Courber votre divin sourcil.


Vous habitez une âpre rue
Vouée à Denfert-Rochereau,
Mais d’ignorer quel numéro
Toute mon âme est fort férue.

Vous chantez comme un bengali,
Un bengali bien égoïste
Qui ne veut plus qu’être un artiste,

Et tenir le reste en oubli.
Ah ! triste, triste, triste, triste.
Oh ! Sanda, Sanda Mahali !

Je vous envoie la chose, parce que je veux vous voir.

Et je veux vous voir parce que je veux que vous publiiez un volume de vers qui soit meilleur que ceux de toutes les dames de chez Lemerre ou autre.

Ce dont je doute moins que jamais après avoir lu la pièce que vous me donnez dans votre lettre.

À bientôt.

Votre
Jules Laforgue.

  1. Hélas ! [Note de Laforgue].