Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Sim-Tchun

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SIM TCHUN

Dans une petite ville de la province de Whang-Jou, à Doha, vivait un honnête et pauvre aveugle du nom de Sim Bonsa. Il se désespérait de n’avoir pas d’enfant. Quelle joie, lorsqu’il apprit que sa femme était enceinte ! Et au bout de neuf mois la dame Sim mit au monde une délicieuse et belle petite fille qu’on nomma Sim Tchun.

Malheureusement, à la suite de la naissance de cette fillette la mère tomba gravement malade et mourut au bout de quelques jours. Le pauvre Sim Bonsa plein de douloureuses tristesses, serrant l’enfant sur son cœur, partit mendier tous les jours le lait et le riz d’une porte à l’autre. D’ailleurs les habitants de cette ville, pris de pitié pour le pauvre aveugle et sa malheureuse fille, les recevaient partout avec sympathie. De cette façon Sim Bonsa éleva sa fille jusqu’à l’âge de quinze ans. Et c’est maintenant la petite Sim Tchun qui va de porte en porte mendier le riz pour soigner son père aveugle, et tout le monde loue la bonne conduite de cette infortunée fille.

Un jour, revenant seul d’une promenade, Sim Bonsa glissa et tomba dans un ruisseau. Fort heureusement un bonze d’un temple voisin, qui passait juste à ce moment en cet endroit sauva le malheureux aveugle. Celui-ci, débordant de reconnaissance, lui demanda son nom.

— « Je suis le bonze d’un temple voisin d’ici. D’ailleurs vous n’avez pas à me remercier, tout homme à ma place aurait fait la même chose. »

— « Ah ! vous êtes vraiment bon, je vous dois la vie, murmura Sim Bonsa, vous voyez, je ne suis qu’un malheureux mortel. Vivre pendant toute l’existence dans les ténèbres ! Quoi de plus malheureux que cela ! Est-ce que le tout-puissant Bouddha ne pourrait pas me rendre la vue ? »

— « Ah ! si, répondit le bonze, vous pouvez retrouver la vue, seulement avez-vous ce qu’il faut ? »

— « Que faut-il donc faire ? » demanda Sim Bonsa d’un air suppliant.

— « Si vous pouviez faire une offrande de 300 sacs de bon riz au Bouddha de notre temple vous retrouveriez la vue. »

Sim Bonsa qui ne s’attendait pas à une telle nouvelle répondit étourdiment qu’il ferait cette offrande. Cependant en réfléchissant son air devint aussitôt grave et triste, puis il s’en alla à tâtons tout en remerciant encore une fois son sauveur.

Dès son retour à la maison, Sim Bonsa raconta à sa fille l’accident de la journée qui aurait pu tourner au tragique et l’heureuse rencontre d’un bonze. Sim Tchun l’écoutait les larmes aux yeux et rendait sans cesse grâce au généreux bonze. Sim Bonsa silencieux et mélancolique, poussait de temps en temps de longs soupirs significatifs. Sim Tchun qui connaissait parfaitement le moindre geste de son père, comprit aussitôt qu’il avait quelque chagrin. Elle lui demanda tendrement ce qu’il avait sur le cœur.

Sim Bonsa d’abord feignit de n’avoir aucun souci, puis finit par lui raconter que s’il avait trois cents sacs de bon riz à offrir au Bouddha il pourrait retrouver la vue. À cette nouvelle, Sim Tchun dissimulant mal ses sanglots resta triste et désolée.

Un jour le bruit circula dans la ville que les Chinois étaient venus acheter une belle jeune fille. Renseignement pris, il s’agissait de ces riches commerçants chinois qui venaient tous les trois ans en Corée pour y acheter des marchandises. Or, une superstition effroyable mais traditionnelle exigeait qu’on sacrifiât une belle jeune fille dans la Mer-Jaune afin d’obtenir une heureuse traversée de cette mer, surtout avec des marchandises de valeur. Voilà pourquoi ces riches commerçants cherchaient à acheter à tout prix une belle victime.

Sim Tchun sortit aussitôt sur la place de la ville où il y avait, en effet, des riches marchands chinois qui attendaient désespérément quelque proposition des habitants. Sim Tchun se présenta résolument devant les marchands, en leur disant :

— « Achetez-moi, je vous prie ! »

Les Chinois très heureux, lui demandèrent quel prix.

— « Me donneriez-vous quatre cents sacs de bon riz ? » répartit la jeune fille. Les Chinois acceptèrent et promirent de les livrer le lendemain même. Le lendemain les marchands chinois vinrent chercher Sim Tchun avec les quatre cents sacs de riz. Celle-ci, à la fois triste et joyeuse, offrit à son père les quatre cents sacs de riz en lui disant qu’il devait offrir trois cents sacs de ce riz au Bouddha pour retrouver la vue et qu’il devait garder le reste cents sacs pour sa provision.

Sim Bonsa surpris, demanda à sa fille la provenance de ce riz.

— « C’est pour vous rendre la vue que je me suis fait avancer quatre cents sacs de bon riz par un riche propriétaire d’une ville voisine en m’engageant chez lui comme domestique. »

Sim Bonsa, ému et triste, pleurait comme un enfant. Il recommanda à sa fille de revenir souvent le voir, tandis que la pauvre Sim Tchun sanglotait silencieusement tout en faisant ses adieux son malheureux père.

Le jour même du départ de sa fille, Sim Bonsa envoya trois cents sacs de riz au temple en honneur du Bouddha et il attendait tous les jours la visite de sa fille, la vraie lumière de ses yeux.

Sim Tchun, sous la conduite de ces riches marchands chinois, s’embarqua le jour même sur un énorme voilier qui prit aussitôt le large. Arrivés au milieu de cette mer fatale, les Chinois y jetèrent la malheureuse Sim Tchun qui disparut sous les vagues en sanglotant.

Un jour l’ambassadeur de sa Majesté le Roi de la Corée, revenant de la capitale chinoise, traversait en bateau la Mer-Jaune. Soudain, au grand étonnement de tout le monde, on vit une énorme et magnifique fleur de Lotus qui flottait majestueusement au milieu de cette mer sans borne. L’ambassadeur en particulier fort surpris donna l’ordre de la cueillir soigneusement. Et dès son retour à la capitale coréenne, il présenta le Lotus à sa Majesté. Le Roi, admirant beaucoup la beauté de cette fleur la fit mettre dans une salle du Palais. Le lendemain matin, alors que le Roi contemplait cette énorme et phénoménale fleur de Lotus, une très belle jeune fille sortit du fond de sa corolle.

Le Roi, qui était encore jeune et veuf depuis quelques mois, tomba amoureux de cette jeune personne, sans savoir au juste pourquoi ni comment. Il était si amoureux d’elle qu’il la présenta dès le lendemain devant la cour et annonça qu’il la choisissait pour la Reine de la Corée.

Sim Tchun, que les marchands chinois avaient précipitée dans la mer, était tombée par un miraculeux hasard dans une énorme fleur de Lotus où elle se croyait, d’ailleurs, dans l’autre monde. Cependant, longtemps elle fut dans le royaume de rêve. Elle ne reprit sa pure conscience que quand elle se trouva dans le Palais royal. C’est alors qu’elle se rendit compte d’abord vaguement puis avec netteté de tout ce qui s’était passé depuis qu’elle avait quitté son père. Devenue reine, elle fut toute puissante. Elle fit alors chercher immédiatement son père, mais personne dans sa ville natale, ne savait rien de lui.

Le pauvre Sim Bonsa avait offert au Bouddha une offrande de trois cents sacs de bon riz, mais vainement il attendit de lui le retour de la vue. Nuit et jour il attendait sans cesse la visite de sa fille bien aimée qui n’arrivait pas. Enfin pris de soupçon, Sim Bonsa alla se renseigner chez un voisin qui lui raconta toute la vérité. À cette nouvelle le malheureux aveugle devint presque fou et il sanglotait tous les jours en parcourant la ville. Puis tout à coup on n’entendit plus parler de lui.

Sim Tchun, malgré toutes les recherches, ne pouvait retrouver son père. Un jour elle donna une grande fête aux aveugles dans son Palais et invita expressément tous les aveugles de tout le pays à y assister.

Les brillantes fêtes continuaient depuis plusieurs jours et une foule d’aveugles passait tous les jours devant la Reine sans que celle-ci pût retrouver son père. Cependant, le dixième jour, Sim Tchun remarqua son père Sim Bonsa entrant à tâtons dans le Palais. Elle se précipita au devant de lui en criant tout en larmes :

— « Papa ! mon pauvre papa ! me voici, votre fille Sim Tchun ! »

Sim Bonsa, entendant la voix de sa fille Sim Tchun, croyait rêver. La joie et l’émotion firent ouvrir ses pauvres yeux aveugles.