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Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/Un ingénieux mensonge

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UN INGÉNIEUX MENSONGE

Il y avait une fois un triste sire qui n’avait pour toute descendance qu’une charmante fille. Il devait songer à la marier et cela le préoccupait beaucoup.

Un jour il crut imaginer un moyen très ingénieux qui lui permettrait non seulement de trouver un mari à sa fille mais encore de s’enrichir et de s’amuser. Il annonça donc dans tout le pays :

— « Celui qui m’obligera à réfuter un mensonge qu’il me présentera sera mon gendre. Mais en cas d’échec de sa tentative le candidat me versera une somme de cent liangs[1].

Aussitôt de toutes parts de vieux garçons et de jeunes déshérités vinrent en masse dans l’espoir de se marier. L’un après l’autre, chacun présenta son petit mensonge tout cru auquel le bonhomme répondait invariablement avec un sourire cynique tout en encaissant les cent liangs du malheureux candidat : « Cela est vrai et je le crois ! »

Bref, les mensonges les plus absurdes, les plus injurieux, les plus… tout ce que vous voudrez n’arrivèrent pas à le convaincre !

Parmi ces malheureux candidats, il y avait un jeune bûcheron qui venait d’échouer pour la cinquième fois, par conséquent, il venait de perdre avec le cynique bonhomme cinq cents liangs, somme considérable à l’époque, ses économies de dix années. Maintenant il n’avait plus rien au monde pas même un sou ! Il se lamentait, il se désespérait… quand tout à coup une idée lui vint. Aussitôt il se présenta de nouveau au bonhomme afin de renouveler une dernière tentative.

— « Encore toi ! Ne feras-tu pas bien de renoncer à ton aventure ? Car tu perdras toujours ! » railla ce dernier tout en recevant le jeune bûcheron pour la sixième fois.

— « Pas du tout, au contraire, je viens vous dire un mot dont dépend toute ma vie… Rappelez-vous plutôt ! Il y a quatre ans je vous ai prêté dix mille liangs au taux de dix pour cent et vous m’avez promis de me les rendre aujourd’hui. Voici d’ailleurs le contrat signé par vous ! » fit-il en lui présentant un faux papier.

Le bonhomme réfléchissait gravement, la tête basse. Il se voyait cette fois bien perdu. En effet s’il disait que cela était vrai, le jeune bûcheron lui réclamerait les dix mille liangs avec les intérêts de quatre ans. Et s’il lui disait que c’était bien un mensonge, le jeune homme lui prendrait sa fille !

— « Allons vite ! payez votre dette ! » pressa le jeune bûcheron triomphalement.

Le triste sire était malheureux surtout à l’idée d’interrompre son commerce à la fois si intéressant et si lucratif. Cependant faute d’autres moyens, il se consola en se disant :

— « En sauvant mon argent je donne un mari à ma fille ! » Et c’est ce qu’il fit, non sans regrets ni sans soupirs.



  1. Voir la note du conte : Un poison précieux.