Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 13

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Librairie Saint-Joseph (p. 84-87).

{{t3|Privilèges de Fontenay|CHAPITRE XIII


La réputation de saint Bernard qui, par une parole tombée de ses lèvres inspirées était l’oracle de l’Europe entière, le conseiller des rois, le guide des populations rejaillissait sur les filles de Clairvaux. C’est là une explication naturelle de l’empressement avec lequel les rois, les princes, les dues, les seigneurs portaient leurs largesses et leurs faveurs sur Fontenay. Si les faveurs accordées a une abbaye attestent la grandeur, l’influence et l’estime dentelle jouissait, nous sommes en droit de regarder Fontenay comme une abbaye de premier ordre. C’est avec raison. Aux xiiie et xive siècles, elle avait ses 300 religieux disséminés sur toutes ses terres pour les cultiver ; elle pratiquait des vertus et des mortifications qui faisaient dire à Innocent III : (« Fontenay est une merveille du monde. » (Ratisbonne.) Ses austérités surprenantes, recevaient une première récompense par l’estime des grands.

Elle avait encore un autre titre à la générosité des seigneurs, c’était la misère qu’elle devait éprouver dans ces temps si tourmentés par les famines, les pestes, les guerres suivies de fréquents pillages, auxquels elle pouvait résister par le moyen des dons qui venaient à propos réparer les dommages précédents. Saint Louis, à Asnières, exempte l’abbaye de tout droit sur terre et sur eau dans ses états. Le roi Jean lui permet d’acheter même pour une somme de 147 livres sans payer de droit au fisc, plus la faculté d’acquérir la haute, moyenne et basse justice dans tout son royaume. Charles VIII prend l’abbaye sous sa protection et commande à son bailli d’Auxois de défendre constamment les intérêts du couvent.

Inutile de prolonger la liste des faveurs royales ; elles sont déjà citées dans le chapitre des bienfaiteurs de Fontenay.

Ces privilèges reçus de la main des rois, des ducs, des autres seigneurs se rapportaient seulement au temporel. Les souverains Pontifes en accordèrent de plus importants sous le rapport spirituel.

Avec l’agrément du général de Clairvaux, les moines pourront élire leur abbé, même dans une abbaye étrangère, comme Réné de Bresche de la Trémoille qui était abbé de Flavigny, comme Jacques de Jaucourt, dernier abbé régulier qui gouvernait Pontigny. Une fois installé, l’abbé pourra porter les insignes pontificaux, la mitre, la crosse, l’anneau et donner la bénédiction papale. Les registres de la cour des comptes énumèrent avec une grande précision tous “ces insignes que portait Jean de Laignes, abbé de Fontenay, quand il célébra le mariage du duc de Lancastre ou Bedfort avec Anne de Bourgogne au château de Montbard en 1423. Il pourra absoudre de tous les cas réservés, même les religieux qui s’entre-battent et encourent l’excommunication.

L’abbaye sera exempte de la juridiction et de la visite épiscopales, ne donnera point l’hospitalité gratis aux évêques. Guillaume de Thurey, 69e évêque d’Autun, en villégiature à son château de Touillon, pendant le carême de 1357, descendit à Fontenay, pour y consacrer les saintes huiles le Jeudi saint, paya toutes les dépenses et laissa une attestation écrite pour déclarer que le précédent ne donnerait aucun droit a ses successeurs.

L’abbaye ne pourra jamais être forcée de vendre ou d’aliéner une portion de ses biens, elle aura droit d’asile non seulement dans la grande église, dans l’intérieur des murs claustraux, mais jusque dans ses métairies, où aucun malfaiteur ne pourra être appréhendé. Elle sera exempte de toutes novales ou dîmes sur ses pr0priétés, qu’elle les cultive elle-même ou les fasse cultiver par des bras mercenaires : elle pourra prendre le Saint-Chrême chez tous les évêques gratis ; elle ne donnera aucune pension à personne, ne recevra aucun religieux sans dot pour ne pas appauvrir la seconde fille de Clairvaux.

Ses religieux ne pourront être excommuniés, ni traduits devant un tribunal laïque, ni sentences que par leurs supérieurs ou leurs pairs ; ils ne devront pas être examinés par l’évêque avant l’ordination, ni exclus de l’ordination à moins qu’ils n’aient des difformités notables ; ils pourront faire les offices dans leurs fermes quand elles sont éloignées du couvent, mais ils seront soumis à l’autorité locale ; ils pourront gagner les indulgences comme s’ils allaient a Rome, à condition qu’ils visiteront plusieurs autels dans l’église abbatiale. Tous ceux qui violeront leurs personnes, leurs propriétés, leurs privilèges ou droits seront excommuniés ainsi que ceux qui retiendraient injustement leurs biens.

Toutes ces menaces terribles qui étaient encore redoutées jusqu’au xve siécle, n’empêcheront pas plus tard les grandes déprédations dont l’abbaye aura à souffrir. Les colons et serfs quitteront les terres qu’ils devaient cultiver, abandonneront les villages qui leur étaient assignés pour domicile, les amodiateurs falsifieront les baux d’amodiation ; les corvéables et taillables, se retireront dans les Villes pour y être méconnus et ainsi échapper à leurs obligations au détriment de l’abbaye. C’est à cause de ces abus que Jean de la Brosse et Louis de Lorraine, abbés commendataires appelèrent l’autorité de Henri IV et de Louis XIV pour obliger les débiteurs de l’abbaye à lui payer ce qu’ils devaient. (Cart. Tonnerre, 48.)


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