Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 6

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Librairie Saint-Joseph (p. 36-39).

CHAPITRE VI

Rapports de Fontenay
avec les autres abbayes


La nature a caché dans les flancs des hautes montagnes d’immenses réservoirs dont les eaux, distribuées par une multitude de ruisseaux, portent avec elles la fertilité dans les campagnes et la richesse dans l’industrie ; de même la Providence, au moyen âge, plaçait de distance en distance des abbayes pour répandre l’amour de l’agriculture, l’instruction et l’adoucissement des mœurs, en désarmant les barons toujours bardes de fer, guerroyant sans cesse les uns contre les autres.

Fontenay était avantageusement situé pour exercer cette triple influence. Il était au centre d’une douzaine d’abbayes, les unes plus âgées, les autres contemporaines, d’autres plus jeunes. Au midi, Moutiers-Saint-Jean, fondé en 440, Saint-Seine, en 535, Flavigny 725, Oigny en 1106, au levant ; au couchant, Rougemont, 1106 ; au nord, le Puits-d’Orbe, 1125, et Notre-Dame de Châtillon en 1135.

Fontenay était assez éloigné des autres monastères pour conserver sa liberté d’action individuelle, et assez rapproché pour les aider ou en être aidé lui-même. Moutiers—Saint-Jean, Saint-Seine, Flavigny, premiers ouvriers de la vigne, semblaient avoir épuisé leur vie, leur énergie dans les troubles du moyen âge et avoir besoin de repos ou demander du secours afin de continuer leur mission. Fontenay vint à la onzième heure offrir son concours qui fut accepté sans jalousie, car la paix a toujours régné entre toutes ces abbayes. Sauf quelques petits démêlés pour des dîmes levées injustement, des limites mal définies ou des droits encore obscurs, ces abbayes étaient comme des sœurs. Il n’y eut jamais de lutte pour l’influence de couvent à couvent, de lutte comme entre Cluny et Cîteaux ; elles n’ont pas eu des Bernard, ni des Pierre le Vénérable.

Depuis son berceau, Oigny, malgré son grand territoire, était resté pauvre, Fontenay lui vint en aide en lui abandonnant ses dîmes de Venarey et des droits sur Poiseul-la-Grange. Fontenay et Flavigny partagent amicalement des bâtiments, des vignes aux celliers de Sainte-Reine, à Villaines-les-Prévotes et a Villoberny. L’abbé le plus distingué de Flavigny sortira de Fontenay, comme Flavigny plus tard lui enverra pour abbé René de Bresche de la Trémoille qui sera élu évêque de Coutances, où il meurt en 1530.

Dans les grandes fêtes de l’année un père de Moutiers-Saint-Jean viendra officier avec un religieux de Saint-Bénigne de Dijon. Pour entretenir les bons rapports du voisinage, l’abbesse du Puits-d’Orbe donne à Fontenay la Maladière du Fain, trente-deux ouvrées de vigne, et reçoit en retour, des manchettes, des bottines et un manteau, et abandonne encore le Desertum de Fontanis siccis pour être défriché et cultivé. En 1442, Fontenay conclue avec les chanoines réguliers de Châtillon, une association de prières et de bonnes œuvres.

Quand un frère viendra à trépasser dans une communauté, les religieux de l’autre devront aussitôt faire l’office des morts pour le défunt et lui appliquer une part des bonnes œuvres de la communauté associée. Cette pieuse mémoire de prières existe encore entre toutes les maisons des Ursulines en France.

Ce saint commerce d’intérêts tout spirituels ne se traitait pas au moyen de lettres échangées entre les monastères. Deux religieux vénérables, les sandales toutes poudreuses, le bâton du pèlerin en main, allaient d’abbaye en abbaye, sollicitaient la bénédiction de l’abbé, puis déroulaient à ses pieds un long parchemin tout couvert de noms d’abbayes, de cachets d’abbayes, demandaient sa signature qui n’était pas refusée, et les anneaux de cette chaîne oraire enveloppaient la France entière.

Ces marques réciproques de confiance et d’amitié annoncent clairement que la paix régnait entre toutes ces maisons religieuses, qu’elles avaient le temps et la facilité d’employer leur énergie à faire le bien, chacune dans sa sphère d’opération.

Cependant dans cette harmonie générale il y a une note discordante entre Saint—Martin d’Autun et Fontenay. En 1169, Saint-Martin d’Autun avait donné à l’église de Fontenay tout ce qu’il avait dans la métairie d’Estormer, avec les terres environnantes, plaines et forêts, les dépendances, pâturages et usages et tous ses droits de la Braine à la Seine ; en retour, les frères de Fontenay donneront à l’église saint-Martin, tous les ans, du mois d’août à la Toussaint, quatre muids et demi de froment à la mesure d’Autun. Plusieurs années après, Fontenay, soit impossibilité, soit mauvaise volonté, refusa d’acquitter sa dette ; Saint-Martin réclama, Fontenay ne répondit pas. La cause fut portée en cour de Rome, des commissaires furent nommés par les papes Martin V et Eugène IV, qui condamnèrent les religieux de Fontenay à donner 105 sextiers de froment a la mesure d’Autun, et pour les arrérages, 150 sextiers aussi de froment ; Fontenay ne voulut pas se défendre et fut condamné par contumace. (Pérard, 400.)

Comme Bernard, fondateur de Fontenay, était allié a toutes les familles nobles de la Bourgogne, aux ducs, aux comtes d’Auxerre, de Tonnerre, aux sires d’Époisses, de Sombernon, de Salfres, de Grancey, l’abbaye, propter amorem Bernardi, avait une grande influence dans tout le voisinage sur les seigneurs, les colons pour les adoucir, les civiliser. Elle profitait souvent de la trêve de Dieu.


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