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VIII
ÉMILE NELLIGAN


II


J’ai tracé le profil du poète : j’en viens à esquisser la physionomie de l’œuvre. Et d’abord, quelle idée l’inspire et la domine ? Quelle philosophie s’en dégage ? Y a-t-il, dans ces deux ou trois mille vers de thèmes et d’allures si variés, un but poursuivi, une pensée maîtresse, une théorie quelconque sur l’âme, sur la vie, sur la société, sur l’art ? Personne n’eût été plus embarrassé de le dire que Nelligan lui-même. En fait, l’art n’eut jamais pour lui aucun dessous ; il fit de la poésie comme le rossignol fait des trilles, sans y entendre plus de malice. Et comme la poésie est un peu partout, il y a dans cette poésie un peu de tout. Il y a de la foi et du doute, de l’adoration et du blasphème, de l’amour et de la révolte, de la pitié et du mépris. C’est une mosaïque d’idées dont la marqueterie bizarre admet tous les contrastes, un réseau qui s’emmêle en labyrinthe, un corps chimique dont les atomes, violemment appariés, se heurtent et s’excluent.

Il est croyant jusqu’à la dévotion, et il chante la communion de Pâques avec la ferveur d’une pensionnaire :

Douceur, douceur mystique ! ô la douceur qui pleut !
Est-ce que dans nos cœurs est tombé le ciel bleu ?

Tout le ciel, ce dimanche, à la messe de Pâques,
Dissipant le brouillard des tristesses opaques ;

Plein d’Archanges, porteurs triomphaux d’encensoirs,
Porteurs d’urnes de paix, porteurs d’urnes d’espoirs…

Serait-ce qu’un nouvel Éden s’opère en nous,
Pendant que le Sanctus nous prosterne à genoux,

Et pendant que nos yeux, sous les lueurs rosées.
Deviennent des miroirs d’âmes séraphisées ?…