Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/12

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cher Morus, ces auteurs, dont l’un raccorde à grand’peine des fragments empruntés sur la philosophie et l’éloquence ; l’autre lime le panégyrique d’un prince quelconque, pendant que le troisième prêche la guerre contre les Turcs, prédit l’avenir, ou soulève de graves questions sur la pointe d’une aiguille. Comme il n’y a rien de plus puéril que de traiter puérilement les choses graves, il n’y a rien de plus ridicule que de traiter sérieusement des plaisanteries. Il n’appartient qu’au public de juger mon ouvrage ; cependant, si l’amour-propre ne m’aveugle, je n’étais pas tout à fait fou en faisant l’Éloge de la Folie.

Pour répondre au reproche de satire, je dirai que, de tout temps, il a été permis de plaisanter sur les travers de ce monde, pourvu qu’on n’allât pas jusqu’à la licence. J’admire vraiment la délicatesse des oreilles de notre siècle ; on dirait qu’elles ne peuvent supporter que les titres flatteurs. Il en est, je le sais, qui entendent si bien la religion au rebours, qu’ils se montrent moins choqués des plus horribles blasphèmes contre le Christ que de la moindre plaisanterie sur un pape ou un prince ; surtout lorsque leur intérêt est en jeu. Mais celui qui fronde le genre humain en général, tout en respectant les personnes, mord-il à plaisir ou ne donne-t-il pas plutôt aux mœurs une utile leçon ? D’ailleurs combien de fois ne me suis-je pas dit mon fait à moi-