Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/70

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quelle quintessence chimérique. J’ai nommé les alchimistes. L’espérance les allèche si bien que rien ne les rebute, ni travaux ni dépenses ; sans relâche, ils cherchent quelque invention qui les aide à se duper eux-mêmes, et cela dure jusqu’à ce que, leur fortune ayant fondu dans leurs creusets, ils n’ont plus même de quoi établir un seul fourneau. Leur désastre ne les empêche pas de nourrir de doux rêves : ils tournent alors toute leur énergie à encourager les autres à rechercher pareille félicité. Cette ressource vient-elle aussi à leur manquer, ils se consolent en disant avec le poëte que dans les grandes choses, il suffit d’avoir osé. Si mieux n’aiment encore s’en prendre à la brièveté de la vie, qui ne leur a pas permis de mener à bien une si grande affaire.


Les joueurs me donnent quelques scrupules, j’hésite à les placer au nombre de mes sujets. Je sais bien que rien n’est plus fou ni plus ridicule à voir que la manie de ces forcenés, dont le cœur palpite et bondit au seul bruit des dés. Enivrés par les promesses de cette syrène qu’on nomme l’espérance, ils brisent leur vaisseau sur un écueil plus terrible que le cap Malée, et nus, sans ressources ils en arrivent à demander leur subsistance à la filouterie ; mais en ayant bien soin toutefois d’épargner leurs tours à celui qui les a ruinés, tant ils craignent de passer pour des joueurs peu délicats ! — La plaisante chose encore que ces vieillards qui chaussent leurs bésicles pour jouer ; et qui, lorsque la goutte venge-