Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/71

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resse leur noue les doigts payent une main étrangère qui batte le cornet pour eux ! Tout cela ne manque pas de charme, je dois l’avouer, malheureusement comme presque toujours l’amour du jeu dégénère en rage, il est plutôt du ressort des Furies que du mien.


Mais il en est d’autres qui sont incontestablement de mon bord. Ce sont ceux-là qui se délectent à écouter ou à raconter les miracles et les prodiges les plus incroyables. Ils ne peuvent se rassasier de ces fables, pourvu qu’elles soient bien grossières, et qu’il y soit question de spectres, de lutins, de revenants, d’enfer et d’autres choses de même farine. Plus elles s’éloignent de la vérité, plus elles sont acceptées facilement par nos gens ; plus elles leur chatouillent agréablement l’oreille. Et il ne faut pas croire que ces balivernes n’aient d’autre but que d’amuser un peu le bon public ; non pas, elles ont des résultats plus positifs pour la marmite des prêtres et des moines. Dans la même classe, on ne doit pas omettre et ces nigauds qui s’imaginent, follement peut-être, mais non sans agrément selon moi, qu’ils ne pourront périr dans le jour où ils ont entrevu quelque statue ou tableau de saint Christophe, ce Polyphème chrétien ; et ces soudards superstitieux, qui se croient invulnérables parce qu’ils ont salué sainte Barbe des paroles prescrites ; et encore ces naïfs qui, pour avoir à certains jours gratifié saint Érasme de petits cierges et de petites prières, espèrent que bientôt ils deviendront fort riches. De ceux-là, il ne faut pas non plus séparer ces autres