Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/85

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se trouvent alors dans le cas d’un maître supplanté par son représentant. Les hommes, voilà mes statues toutes dressées et vivantes, ou je m’incarne bon gré mal gré ! Je n’ai pas même à envier aux autres dieux les fêtes qu’on leur donne à certains jours désignés dans tel ou tel coin de la terre, comme Apollon à Rhodes, Vénus à Chypre, Junon à Argos, Minerve à Athènes, Jupiter sur l’Olympe, Neptune à Tarente et Priape à Lampsaque. Que m’importe tout cela ? le monde entier m’offre à chaque instant des victimes bien autrement choisies !

Dira-t-on que j’exagère ? — Jetez un coup d’œil sur la vie des hommes ; vous allez voir ce qu’ils me doivent et en quelle estime ils m’ont tous, petits ou grands. — Il nous est impossible, vous le comprenez, de passer en revue toutes les positions ; il faut nous borner aux sommités ; mais par elles, nous pourrons juger du reste. — Je n’ai que faire de vous parler de la masse du peuple ; elle est à moi sans conteste. Chez elle, on rencontre toute espèce de folie, et elle y rapporte chaque jour de tels raffinements qu’il n’y aurait pas trop de mille Démocrites pour en rire convenablement. Bien entendu qu’en sus de ces mille il en faudrait encore un pour rire de ses confrères.

Il est difficile de se figurer quel ravissant spectacle donne aux dieux la fourmilière humaine. Il faut que vous sachiez d’abord que les Olympiens passent à jeun leur matinée à tenir leurs assemblées, souvent fort bruyantes. C’est alors qu’ils écoutent les vœux des mor-