Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/86

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tels. Après le festin, lorsqu’ils ont sablé le nectar, ne se sentant plus en état de s’occuper d’affaires sérieuses, ils vont s’asseoir au plus haut de l’Empyrée, et là, le cou tendu, ils regardent les hommes s’agiter. Quelle plaisante comédie s’offre à leurs regards ! Que de bonnes bouffonneries ! Quelles sirènes ! Que de variétés dans cet essaim de fous ! Je vous en parle savamment, puisque de temps à autre je prends place au milieu du cénacle divin.

L’un se meurt d’amour pour une coquette, et sa flamme malencontreuse s’attise en proportion des froideurs de la belle ; l’autre épouse une dot et non une femme ; ici, un mari vit de la prostitution de son obéissante moitié ; là, un jaloux poursuit la sienne des cent yeux d’Argus. Que de folies dit et tait cet héritier en deuil ! sa douleur va jusqu’à payer des gens qui versent des pleurs ; il justifie le proverbe grec : « Pleurer sur le tombeau d’une belle-mère. » Tantôt c’est un glouton qui donne à son ventre tout ce qu’il peut ramasser, au risque de mourir de faim le surlendemain ; tantôt un fainéant qui met tout son bonheur à dormir et à ne rien faire. Par ici, on voit des gens s’occuper, avec le plus grand soin des affaires des autres et négliger les leurs ; par là des prodigues qui empruntent pour payer leurs dettes et se croient riches le jour où ils font banqueroute. Puis c’est un avare qui prend pour le comble de la félicité de vivre comme un gueux à seule fin d’enrichir son héritier ; ensuite un marchand, qui, pour un gain minime et trop souvent incer-