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la célèbre Rhodopis, esclave du Samien Iadmon, qu’il mourut à Delphes de mort violente, et que les Delphiens payèrent au petit-fils d’Iadmon le prix de son sang. Tous les renseignements qui s’ajoutent à ceux-là sont d’une époque trop tardive pour ne pas éveiller la défiance de ceux qui connaissent les habitudes des biographes grecs. Non contents des faits authentiques et avérés, ils embellissent l’histoire des hommes illustres des prestiges de leur imagination, ils inventent des présages ou des prodiges qui annoncent leur grandeur future, ils les mettent en rapport entre eux en dépit des temps et des distances. Si l’histoire ne dit rien d’eux, ils suppléent à son silence, comblent les lacunes et recomposent une biographie de toutes pièces. C’est ce qu’ils ont fait pour Ésope ; et ce personnage, dont la vie était restée inconnue, a été le héros d’une foule d’aventures et même d’une résurrection miraculeuse ; et l’on a fait vivre deux fois un homme dont l’existence a été révoquée en doute. Suivons le développement de sa légende.

II
LA LÉGENDE D’ÉSOPE


Au temps d’Aristophane, Ésope était devenu très populaire à Athènes, comme on le voit par les imitations plaisantes que le poète en fait, et qu’il ne manque pas de rapporter à Ésope. Enchérissant sur Aristophane, le poète comique Alexis fait figurer Ésope lui-même dans une de ses comédies. Cette vogue universelle, qui jetait soudain un si vif éclat sur le nom d’Ésope longtemps obscurci par l’oubli, fut sans doute l’origine de la légende qui le rappela des enfers pour vivre une seconde existence. Platon le comique, qui florissait à la fin de la guerre du Péloponnèse, met en scène un personnage qui jure que son corps est mort, mais que son âme est revenue sur terre, comme celle d’Ésope. Plus tard cette légende se compléta et Ptolémée Héphestion raconte que non seulement Ésope ressuscita, mais encore qu’il combattit aux Thermopyles, et Suidas rapporte qu’il écrivit en deux livres ce qui lui était arrivé à Delphes, ἔγραψε δὲ τὰ ἐν Δελφοῖς αὐτῷ συμβάντα ἐν βιβλίοις β'. Ce passage, qui semblait absurde,