Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui l’accompagnait et compara cette écriture avec celle du billet joint au bouquet de fleurs d’oranger ; elle vit que c’était la même et porta le billet à ses lèvres en s’écriant :

— Qu’il faut m’aimer, pour deviner ainsi tout ce que je pense !

Puis rangeant divers objets sur les étagères de son élégant et modeste salon, elle songea que M. de Lorville n’y était jamais venu, et elle se demanda comment il se pouvait qu’elle n’eût jamais reçu chez elle celui qu’elle allait épouser.

Alors toute l’invraisemblance de sa situation lui apparut ; le doute commença à la tourmenter, mais bientôt il fut dissipé : Edgar ne pouvait se jouer d’elle. Malgré l’originalité, la gaieté de son esprit, sa conduite et ses manières ne permettaient pas de le soupçonner d’une étourderie offensante.

À vingt-quatre ans, M. de Lorville jouissait déjà de la considération d’un homme mûr ; personne n’avait l’idée de le traiter légèrement. C’était une chose remarquable que cette expression de sévérité sur ce visage si jeune, si gracieux ; c’était un problème merveilleusement résolu, que d’être imposant à son âge, avec un frac à la mode, avec un gilet de chez Blain et une canne de chez Verdier. Néanmoins, les hommes les plus distingués lui pariaient avec déférence. Sous cette enveloppe d’élégant, ils devinaient un juge, un critique impartial, — et l’impartialité est si imposante !

L’heure s’avançait, et madame de Champléry sentait ses émotions se presser enfouie dans son cœur. Au moindre bruit elle frissonnait ; l’idée de le revoir, lui qu’elle aimait, lui qu’elle avait tant craint de perdre, lui qui décidait de son sort sans la consulter ; cette idée, pourtant si douce, la jetait dans un trouble impossible à dépeindre.

Toute autre femme, à la place de Valentine, se serait tirée de l’embarras de cette première entrevue en feignant le dépit d’un petit orgueil étonné, en demandant si l’on avait le droit de disposer ainsi de son avenir et de son cœur avant d’y avoir été autorisé par son consentement. Mais Valentine était de trop bonne foi pour se plaindre d’une présomption dont elle était si heureuse, et pour minauder sur une union qu’elle désirait. Enfin, Edgar ne pouvait être dupe de cette finesse :