Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/123

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au supplice de voir son bonheur observé, pesé, commenté, dérangé par cent personnes que son mariage n’intéressait pas, ou qui peut-être en étaient contrariées.

Edgar cherchait à la consoler de cet ennui par les mots les plus aimables ; étant seul avec elle dans le salon en attendant que sa belle-mère fût prête et que les invités fussent arrivés, il lui adressait les flatteries les plus gracieuses sur sa beauté et sur sa parure ; mais Valentine ne se montrait pas résignée.

— Comme je vais m’ennuyer pendant cette soirée ! disait-elle. Que répondre à tous ces compliments qu’on se croira obligé de m’adresser ? quelle contenance avoir pour ne pas paraître trop embarrassée ou ridicule ? Quand j’aurai regardé deux ou trois fois mon éventail en faisant une révérence, je ne saurai plus quelle attitude prendre, ce moyen de contenance déjà un peu usé ne pourra plus servir. Si j’avais au moins un lorgnon comme celui-ci, ajouta-t-elle en désignant celui d’Edgar, je m’amuserais à regarder çà et là, et j’aurais plus d’assurance… L’habitude de lorgner, continua-t-elle en souriant, donne un air malveillant qui ôte l’air gauche, et c’est pour cela, je crois, qu’avec des yeux excellents vous portez toujours ce lorgnon.

— Voulez-vous que je vous le prête ce soir ? dit Edgar ; je pensais justement à vous l’offrir.

— Non, merci, reprit-elle ; j’y vois plus clair avec mes yeux.

— Vous croyez ? dit Edgar en dissimulant mal un sourire ; je vous affirme que si vous aviez ce lorgnon pour observer tout ce monde, vous ne vous ennuieriez pas un instant.

— Comment ! reprit Valentine étonnée, il est donc bien extraordinaire ?

Puis tout à coup, saisie d’une idée :

— En effet, je me rappelle… M. de Fontvenel et M. Narvaux m’ont souvent fait remarquer ce lorgnon comme une singularité dont ils voulaient pénétrer le mystère, et qui…

— Vraiment ? interrompit Edgar inquiet.

— Oui, reprit Valentine, nous avions même formé le projet d’en exiger le sacrifice, et de vous en donner un autre plus joli ; je ne me souviens plus trop des détails de ce grand complot, je sais seulement que j’en étais.