Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/125

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avec une politesse empressée, difficile à concilier avec l’air de langueur affectueuse qu’elle avait combiné pour toute la soirée.

— Je vous ai fait bien de la peine l’autre jour, ma chère Valentine, dit madame de Montbert à sa future nièce, mais je l’ai fait exprès, et c’est mon excuse ; d’ailleurs Edgar a été si heureux du chagrin que je vous ai causé, que vous me le pardonnerez, n’est-ce pas ?

Comme Valentine s’apprêtait à répondre, madame de Clairange vint leur parler, et dès lors le supplice de madame de Champléry commença : la quantité de choses inconvenantes que sa belle-mère pouvait dire en moins de dix minutes, pour l’embarrasser, était un véritable problème ; rien ne s’expliquait moins que ce manque absolu de tact, de bon goût dans une personne que nul sentiment vif n’entraînait, et qui avait l’habitude de choisir toujours ce qu’il y a de mieux à dire ou à faire ; on ne concevait point comment, étant parvenue à simuler les vertus les plus difficiles à pratiquer, elle n’avait pu atteindre à cette qualité ; c’est que le bon goût est pour ainsi dire la pudeur de l’esprit : voilà pourquoi il ne peut s’imiter ni s’acquérir.

— Seriez-vous souffrante ? demanda madame de Fontvenel à madame de Clairange, qui paraissait attendre cette question.

— Un jour comme celui-ci est toujours si pénible pour nous ! répondit-elle en feignant de réprimer une émotion qu’elle n’éprouvait pas. Je ne puis me faire à l’idée de me séparer de Valentine. La première fois que je l’ai mariée, j’ai bien souffert ; mais j’éprouve encore plus de tristesse aujourd’hui. Depuis la mort de son mari, elle m’avait été rendue, et j’espérais la garder près de moi plus longtemps.

Sentant combien le souvenir de son premier mariage était ridicule à rappeler en ce moment, Valentine faisait tous ses efforts pour interrompre une élégie si maladroitement commencée ; mais il n’était pas facile d’arrêter madame de Clairange lorsqu’elle était lancée dans un sentiment qu’elle croyait convenable ; et le parallèle entre les deux mariages une fois établi, il fallut le subir jusqu’au bout.

Par sa situation singulière, Valentine éprouvait alors tous