Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/23

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Frédéric parut si soulagé en trouvant enfin une personne de sa connaissance, que M. de Lorville ne put voir sans sourire son empressement à lui parler. « Ah ! cette fois, pensa-t-il, la joie de me revoir est bien sincère ! »

Et feignant d’être étonné :

— Toi ici ! s’écria-t-il ; je croyais que ta position…

— Ne m’en parle pas, interrompit M. Narvaux, tu m’en vois honteux, mais je ne me fais pas meilleur que je ne suis ; et, quand une jolie femme me dit : Je le veux ! j’irais au bal chez mon plus grand ennemi pour l’y voir danser.

Edgar fut émerveillé de l’audace de ce mensonge, et se promit de le déconcerter. Cependant, voyant que Frédéric s’obstinait à rester près de lui, il commençait à se repentir de l’avoir fait inviter ; et, profitant du prétexte qui s’offrait, il se perdit dans la foule, et courut rejoindre sa danseuse.

C’était une blonde ravissante de beauté et de mélancolie. De grands yeux noirs à demi voilés par de longues paupières, un sourire inachevé, un air de complaisance à se prêter à des plaisirs qui n’en sont plus pour elle, une attitude de langueur et même de souffrance donnaient à toute sa personne un charme inexprimable. Edgar n’avait pu obtenir que la quatrième contredanse, tant les merveilleux du jour s’empressaient autour d’elle. Mademoiselle d’Armilly avait pris un petit air boudeur lorsque Edgar était venu la prier à danser. Pour en connaître la cause, il l’avait lorgnée en s’éloignant.

« C’est bien ennuyeux, pensait-elle, de danser avec des gens que l’on ne connaît pas ! »

Cette réflexion plut beaucoup à M. de Lorville. Il commençait à se fatiguer des continuelles coquetteries que les femmes lui adressaient, séduites par son joli visage, sa tournure distinguée et l’élégance de ses manières. « Cette jeune personne, se disait-il, préfère ses anciens amis à ses nouvelles conquêtes ; j’aime ce caractère, et je lui pardonne le peu d’empressement qu’elle a mis à accepter mon invitation. »

La ritournelle de la quatrième contredanse étant déjà jouée, Edgar vint prendre la main de sa jolie danseuse ; et comme il n’aurait pas été poli de la lorgner en causant avec elle, il se livra tout au plaisir de l’écouter et de l’admirer. Mademoiselle