Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/25

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elle le reçut si froidement et avec tant de sécheresse que le pauvre soupirant, déconcerté par cette rigueur inattendue, s’éloigna bientôt. Edgar demanda son nom.

— C’est M. de Champléry, reprit mademoiselle d’Armilly d’un air de confiance et de malice enfantine ; c’est un protégé de mon oncle : je danse avec lui par ordre, aussi cela m’ennuie-t-il à périr.

Edgar fut ravi de la naïveté de cette réponse et de cette manière gracieuse de se lier avec lui en le mettant pour ainsi dire de son parti. Jamais il n’avait éprouvé près d’une femme une émotion plus séduisante. La contredanse venait de finir, il fallut se séparer. Edgar reconduisit à sa place, auprès de sa mère, mademoiselle d’Armilly, et en le voyant s’éloigner, elle lui adressa un sourire plein de gentillesse qui voulait dire : « Nous sommes déjà de vieux amis. »

Tout en rêvant à sa nouvelle passion, Edgar alla se placer dans une embrasure de fenêtre pour l’admirer en silence. Mademoiselle d’Armilly, qui le suivait des yeux, vit de loin qu’il s’apprêtait à la lorgner attentivement, et donnant à sa physionomie toute la grâce de l’embarras, elle baissa les yeux.

Jaloux de connaître l’impression qu’il avait faite sur elle, Edgar brûlait de lire dans son cœur. Mais, hélas ! voilà ce que cette âme si tendre pensait de lui et de son esprit :

« C’est le fils du duc de Lorville, il aura soixante mille livres de rente en se mariant. »

Oh ! quel amer désenchantement ! de son esprit, pas un mot ; de sa personne, pas un souvenir ! En vain il avait été aimable, en vain il s’était réjoui d’être ce jour-là plus à son avantage, on ne l’avait pas écouté, on ne l’avait pas regardé. Ce qu’on aimait en lui, c’était son vieux château de Lorville, où il s’ennuyait tant !…

Combien il pardonnait alors aux femmes qui n’aimaient en lui que ses agréments frivoles ! Mademoiselle d’Armilly était indigne d’éprouver une si simple faiblesse. L’ambition rend aveugle, les avantages qu’elle recherche sont les seuls qu’elle comprenne ; non-seulement elle dédaigne les autres, mais elle ne les voit pas.