Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/26

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Edgar, tombé du haut de son illusion, se livra à un dépit sans mesure. Chaque fois qu’il passait devant mademoiselle d’Armilly, il répondait à ses regards engageants en détournant la tête de la manière la plus insolente. « Ah ! se disait-il, ce n’est que mon rang qui lui plaît en moi ; eh bien, je le lui ferai sentir en la dédaignant ! »

Mademoiselle d’Armilly remarqua bientôt cette différence dans les manières de M. de Lorville ; elle en paraissait peu surprise, et son maintien résigné le frappa ; il la regarda de nouveau pour savoir ce qu’elle pensait de ce changement. Elle l’expliquait ainsi : « On vient de lui dire que je n’ai pas de dot. » Et, avec cette justice des gens qui calculent, elle trouvait tout simple que M. de Lorville éprouvât pour elle, en ce moment, le même dédain qu’elle avait senti pour lui avant de le connaître.

Tant de sécheresse dans une personne si jeune et d’une beauté si langoureuse inspirait à M. de Lorville une sorte d’horreur, et maintenant qu’il avait son secret, cette jeune personne lui paraissait aussi laide qu’elle était réellement belle ; tant il est vrai que tout le charme d’une femme dépend des sentiments qu’elle éprouve ou qu’on lui suppose. La physionomie est un langage ; pour en être ému, il faut avoir foi dans ce qu’elle exprime.


V.

Edgar, de mauvaise humeur et découragé, eut une seconde fois recours à sa malice pour se distraire. Il se plaisait à embarrasser ceux à qui il parlait en leur dévoilant leur véritable pensée, au moment même qu’ils exprimaient le contraire. D’autres fois, il s’amusait à répondre à des gens qui ne parlaient pas, et qui restaient confondus de se voir ainsi devinés. Il y avait, près de la cheminée d’un des nombreux salons, un gros monsieur qui ne disait rien à personne et qui regardait l’heure attentivement. Edgar, sachant sa pensée, lui dit :

— On va souper tout à l’heure.

Et le monsieur de reculer d’étonnement, puis de se rassurer et de dire :