Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/27

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— Voilà un jeune homme aussi gourmand que moi.

Plus tard ? il faillit se faire une querelle avec un de ces graves politiques qui mentent hardiment par nature et par prudence, et qui croient ne faire que dissimuler par devoir. Leur conversation était vraiment risible à entendre. M. de Lorville, qui ne s’attachait qu’à la pensée, semblait pour chacun un esprit de travers qui comprend tout à rebours, et, pour son interlocuteur, un homme taquin et d’une conversation insupportable.

— Le ministère durera plus qu’on ne l’imagine, disait le politique ; j’ai de fortes raisons pour le supposer.

— Vraiment ? reprenait Edgar, en souriant, vous croyez qu’il sera changé demain !

— Je n’ai pas dit cela, monsieur ! s’écriait l’autre, impatienté. Au surplus, ajoutait-il, je ne me soucie guère d’entrer dans cette boutique, et puisqu’on ne pense pas à moi…

— Ah ! l’on vous fait des propositions !

— Vous ne m’entendez pas, monsieur…

— Si vraiment, on vous offre un portefeuille que vous acceptez à telle condition, rien de si simple.

L’homme d’État, rougissant d’être deviné, feignit de croire qu’Edgar plaisantait et changea brusquement la conversation :

— Je viens de chez le ministre des affaires étrangères, dit-il ; on n’a point de nouvelles d’Italie.

— Ah ! ah ! reprit Edgar, en lorgnant le diplomate : un courrier est arrivé ce soir.

— Monsieur, j’ai eu l’honneur de vous dire qu’il n’était pas arrivé de nouvelles.

— Oui, j’entends bien ; et vous savez même que les Autrichiens sont à Bologne.

— Moi, monsieur, je ne sais rien du tout !

Et le diplomate restait confondu. Cette nouvelle était encore secrète, et il avait promis au ministre de la cacher. Impatienté d’un dialogue si singulier, il s’éloigna en se disant qu’il n’y avait rien de tel que l’ignorance et la sottise pour déconcerter un homme d’esprit ; car, n’ayant pas le secret de M. de Lorville, il appelait hasard et incohérence d’idées la justesse de sa pénétration.