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MONSIEUR LE MARQUIS

Rempli de confiance, Lionel jeta sur madame de Pontanges un regard qu’il croyait tendre, mais qui n’était que séduisant. M. de Marny avait les plus beaux yeux du monde.

— Nous abusons de vos moments, madame, dit tout à coup madame d’Auray que ce regard impatientait ; je vous rends votre liberté, et me charge de faire voir le château à ces messieurs.

En disant ces mots, madame d’Auray se leva pour sortir. Il y avait à peine dix minutes qu’elle était assise, et rien n’était plus singulier que cette manière précipitée de terminer une visite. Chacun en parut confondu. Les amis de madame d’Auray ouvraient de grands yeux et ne semblaient pas du tout disposés à la suivre. Le bon curé et la tante étaient stupéfaits et ne pouvaient se décider à se lever de leurs fauteuils pour la saluer. Il y avait quelque chose de si comique dans la manière polie dont madame d’Auray se débarrassait de Laurence en l’empêchant de faire les honneurs de sa maison, cette visite en compagnie de trois personnes était si courte et le motif qui la faisait abréger était si visible, que Laurence elle-même, malgré le peu d’habitude qu’elle avait du monde, ne put s’y méprendre. Elle s’efforçait de ne pas rire ; mais, par malheur, elle leva les yeux sur M. de Marny, et l’expression maligne du visage de Lionel voulait si bien dire « C’est moi qui vous vaux cela, » — que madame de Pontanges ne put s’empêcher de sourire.

C’était déjà beaucoup que de s’entendre si vite ! Sourire en même temps d’une même idée qu’on ne dit pas… c’est déjà presque de l’intimité ; il est de vieux amis qui ne vous comprennent pas si bien. Madame d’Auray remarqua cette prompte intelligence, et elle tomba dans le tort commun à tous les jaloux, celui de faire cent maladresses qui servent les coquetteries.

— Ma chère, restez, ne vous dérangez pas, dit-elle, vous devez être cent fois par an tourmentée par tous les admirateurs de Pontanges. Vous devez être lasse de votre rôle de cicerone et de répéter toujours : « C’est là que, François Ier s’est reposé ; — ici, Diane de Poitiers s’est promenée… ; » et vingt autres souvenirs qui sont intéressants pour nous, mais qui ne seraient que du rabâchage pour vous. Rentrez, je vous en conjure.