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DE PONTANGES.

— Je suis vraiment confus, madame, de venir encore vous importuner aujourd’hui ; mais, comme un étourdi, hier j’ai oublié…

— Votre canne, aurait interrompu la vieille tante. Ah ! monsieur, quand je l’ai vue, je ne voulais pas croire qu’elle fût à vous. Comment se fait-il qu’un si jeune homme ait une si grosse canne à pomme d’or, comme un vieux médecin ? Le fameux Vicq d’Azyr, qui me soignait, en avait une absolument pareille lorsque j’eus la petite vérole, et c’était en 92, je me le rappelle.

Madame de Pontanges aurait alors interrompu sa tante, pour épargner à M. de Marny le récit de la Révolution.

— Madame d’Auray n’est pas fatiguée de sa course d’hier ? aurait-elle demandé ; je craignais que vous n’eussiez de la pluie.

— Non, nous avons eu un temps superbe.

Et l’on aurait causé sur ce ton pendant un quart d’heure, et M. de Marny serait reparti emportant tristement sa canne, avec une très-faible idée de l’esprit de madame de Pontanges.

Au lieu de cela,


Lionel entra dans le salon en triomphateur. À son nom seul, Laurence avait rougi tellement, qu’il ne lui était plus permis de rester timide auprès d’une femme ainsi troublée à son aspect.

— Vous croyez, je le parie, madame, que je viens chercher ma canne ?

— Non vraiment, répondit Laurence.

— Ah !… et qu’imaginez-vous donc, madame ?

— J’imagine que vous venez me parler de madame d’Auray, de la singulière visite qu’elle m’a faite hier ; vous avez peur qu’on ne vous croie complice de ses bizarreries et vous avez hâte de vous justifier. En ami sincère, vous venez la renier près de moi, n’est-ce pas cela ?

M. de Marny fut à son tour déconcerté de cette réponse assez inconvenante, et que madame de Pontanges n’aurait jamais faite à un autre qu’à lui. Il ne s’attendait pas à trouver tant d’aplomb dans une femme qui n’avait jamais vu Paris. Il