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MONSIEUR LE MARQUIS

aveu ; mais comme, au fond, c’était la vérité, Laurence en fut troublée ; elle sentit le besoin de ramener la conversation sur des sujets indifférents.

— Je croyais, dit-elle un peu remise de son émotion, que l’on s’amusait beaucoup chez madame d’Auray ? C’est une personne très-animée, spirituelle…

— Pas tant qu’on l’imagine. À Paris, tout cela est fort bien : une femme élégante, très-entourée, chez qui l’on rencontre beaucoup de gens à la mode, qui sait toutes les nouvelles du jour, les commérages du monde, une femme minaudière amuse dans un salon ; mais à la campagne, c’est autre chose : les ornements lui manquent, il ne lui reste que les prétentions. Il faut une beauté réelle pour séduire au grand jour, et la campagne est le grand jour de l’esprit. Il faut là un caractère vrai pour captiver : madame d’Auray est une personne toute factice. Parisienne dans l’âme, Paris lui sied bien ; là, elle est ravissante. Ses attraits d’emprunt sont juste assez solides pour les grâces nonchalantes de la ville ; ici, au contraire, ils lui jouent des tours désolants. Par exemple, l’autre jour, sa fausse natte est tombée dans la rivière, comme elle se baissait pour cueillir une fleur au bord de l’eau. Il nous a fallu repêcher à la ligne sa blonde chevelure ; elle a beaucoup ri, elle a très-bien pris la chose, mais ce n’en est pas moins très-désenchantant. Eh bien, son esprit lui joue de ces tours-là sans cesse ; son mari, qui est plein de tact, est obligé de repêcher ainsi tout ce qu’elle dit. Il est fâcheux que la campagne lui soit commode, car elle ne lui sied pas.

— Mais elle a souvent du monde chez elle ?

— Ah ! quel monde !… des gens fort communs ; madame d’Auray n’est qu’admise dans le grand monde, elle n’en est pas. Les gens les plus distingués vont chez elle, à Paris, parce qu’ils sont alliés, parents ou amis de son mari ; elle les reçoit les grands jours et en cérémonie ; mais dans l’intimité, elle ne voit que ses amis à elle, sa société, qui est très-vulgaire.

— Comment appelez-vous ce monsieur qui m’a demandé quels vers je déclamais ?

— Ah ! M. Bonnasseau… c’est un sot qui ne manque pas