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DE PONTANGES.

d’esprit, un gros jeune homme tendre, fort bien traité de madame d’Auray, dit-on…

— Lui ?… dit Laurence, j’avais cru…

— Vous me faisiez bien de l’honneur, madame, dit Lionel en feignant un air fâché ; j’espérais que vous aviez meilleure opinion de moi. J’ai si bonne idée de vous, que cela devrait vous donner de l’indulgence ; mais je ne suis pas inquiet, plus tard vous me rendrez justice. Quel bonheur de vous avoir rencontrée ! Vrai, je vous le disais tout à l’heure, j’étais dans un accès de misanthropie qui vous aurait fait pitié ; je ne voyais plus qu’affectation et mensonge. Si vous saviez comme le monde est laid ! Ah ! ne venez pas à Paris, on vous gâterait, ce serait dommage.

— Rassurez-vous, je n’irai pas ; je ne quitterai jamais ce pays.

— Pourquoi ?

Laurence ne répondit pas ; elle détourna la tête tristement. Cependant les regards de Lionel l’interrogeaient.

— Amaury, reprit-elle, est né dans ce pays ; il y est aimé, on le respecte malgré sa démence. À Paris, on se moquerait de lui ; j’en serais bien malheureuse.

— Vous pourriez le mettre dans une maison de santé, le confier à…

— À des indifférents qui le maltraiteraient ? oh ! non… Moi, j’ai de l’empire sur lui, et puis je l’aime… je l’aime, ajouta-t-elle en pleurant, comme un pauvre enfant qui m’a été confié et qui ne peut vivre sans moi. Il y a quelque temps j’étais malade, je ne pouvais le servir à table, le mener promener ; eh bien, il n’a pas voulu sortir, il n’a pas voulu manger pendant deux jours… Vous voyez bien que je ne pourrais pas le quitter.

Et Laurence fondit en larmes.

— Pardon, dit Lionel profondément ému… pardon, je vous afflige ; mais qu’on vous aime en vous voyant ainsi !

— Voilà bien longtemps que je n’ai pleuré, dit-elle ; il y a des jours où je me crois heureuse…

Lionel lui prit une main qu’elle ne retira pas ; il la porta à ses lèvres avec vénération.