Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
DE PONTANGES.

Lionel était le premier homme aimable qui eût paru dans le vieux donjon de Pontanges. Laurence n’avait pas vu le prince de Loïsberg depuis quatre ou cinq ans. Son cousin était alors un jeune écolier insignifiant.

En le voyant auprès de M. de Marny, elle les compara malgré elle.

Et cette comparaison, au premier aspect, n’était pas à l’avantage de Lionel.

Il avait sans doute plus d’esprit que le prince ; mais il fallait les connaître longtemps tous deux pour le savoir.

Je ne vous dis rien de l’illustre Ferdinand Dulac, qui avait plus d’esprit encore que les deux autres. Celui-là aussi ne laissait pas de nuire à ceux qui voulaient plaire auprès de lui.

Or Laurence avait fait cette découverte :

Qu’il y avait deux hommes aussi aimables que celui qu’elle préférait.

Découverte, selon moi, fort dangereuse.

Eh bien, M. de Marny, en homme qui a l’habitude de séduire, devina tout cela !

Et dès lors cette conquête, qui n’était encore qu’un projet vague, qu’un entraînement peut-être de son cœur, devint une gageure, un pari fait avec lui-même, qu’il se promit de gagner.

Arrivé à Pontanges, on le conduisit dans une chambre énorme, très-belle, très-historique, très-intéressante à visiter pour un antiquaire, amant du moyen âge, — mais très-incommode à habiter pour un élégant, accoutumé au confortable de la vie anglo-parisienne. Les murs étaient recouverts de riches tapisseries représentant des sujets tirés de la Bible : Rachel et Jacob, Ruth et Booz, Joseph vendu par ses frères ; mais le vent qui soufflait dans les fentes des portes et des fenêtres les agitait si violemment, que l’on croyait à chaque instant voir l’échelle de Jacob et l’amphore de Rachel tomber sur votre tête.

Les rats et les souris, accoutumés à la solitude de ces lieux, venaient s’ébattre joyeusement derrière ces mouvantes figures ; et ce fut toute la nuit un tapage, une fête à empêcher de dormir un enfant.