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MONSIEUR LE MARQUIS

arrivé beaucoup de monde chez ma sœur ; elle n’a pas voulu me laisser partir ; il est plus tard que je ne le croyais, et je vois avec peine que j’ai peu d’instants à rester près de vous.

Ce qui voulait dire :

« Rassurez-vous, je ne vous gênerai pas longtemps. »

M. de Loïsberg observait Laurence et M. de Marny avec attention.

« Elle l’aime… Ferdinand a raison ! » pensait-il.

Lionel affectait un air tranquille, l’air d’un homme qui n’a rien à redouter d’un rival : sa politesse envers le prince était prévenante et pleine de grâce ; il semblait faire les honneurs du château. Le maintien embarrassé de madame de Pontanges, au contraire, faisait pitié, et M. de Marny venait au secours de cet embarras avec une adresse vraiment compromettante.

Lionel savait éloigner le prince en agissant ainsi ; son attitude heureuse, sa fatuité naïve devaient le décourager.

Lionel triste, — le prince restait… Lionel joyeux, — le prince devait lui céder les armes ; il n’était pas homme à combattre un rival aimé. — Et Lionel, qui excellait dans l’art de spéculer sur toutes les délicatesses, vit tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de la modeste fierté de M. de Loïsberg, et comprit qu’il était urgent d’affecter devant lui une confiance qu’il n’avait pas.

Cependant la conversation était traînante ; Laurence questionna le prince sur son duel, sur sa blessure ; il évita de répondre. Comme tous les gens de bon goût, M. de Loïsberg n’aimait pas qu’on s’entretînt de lui. Lionel alors évoqua le souvenir de M. de R…, et l’on discuta quelques instants sur ses ridicules et sur son talent.

Dès qu’il put convenablement repartir, le prince se leva, et fit à madame de Pontanges un salut très-respectueux, mais très-expressif aussi, — peut-on se servir de ce mot pour un salut ? Il était impossible de dire plus clairement : « J’ai tout deviné, vous ne me reverrez plus. »

Et madame de Pontanges éprouva un sentiment pénible en