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MONSIEUR LE MARQUIS

d’elle, au fort de sa douleur… j’apparaîtrai !… Cette joie soudaine lui fera perdre la tête… et alors… Ferdinand ne se moquera plus de moi… »

Ainsi M. de Marny avait tracé son plan de campagne ; il l’exécuta fidèlement, trop fidèlement peut-être, car l’excès de son habileté faillit le perdre.

Il avait prévu l’inquiétude de madame de Pontanges, sa douleur, l’état d’exaltation, où la plongeraient deux jours d’attente et d’angoisses ; il avait deviné tout cela ; mais il n’avait pas pensé qu’il faudrait répondre à toutes ces craintes, à tous ces délires de son imagination, par un événement qui expliquât tant de tourments. Laurence, depuis deux jours, ne rêvait que malheurs, duel, chute de cheval, maladie mortelle et autres excuses de ce genre. Or c’était une pauvre raison à lui donner, pour répondre à son inquiétude passionnée, qu’une affaire qui l’avait fort contrarié, mais qu’il lui avait été impossible de différer.

Lionel risquait beaucoup en reparaissant sain et sauf… après tous les dangers que l’imagination de Laurence lui avait fait courir depuis deux jours.

Il ne faut pas plaisanter avec les femmes dont la tête s’enflamme facilement, dont la pensée incessamment travaille. Un mot soudain les refroidit, et ce que l’on a médité pour entraîner leur amour est quelquefois précisément ce qui l’éteint.

D’ailleurs, Lionel avait le grand tort de croire qu’en fait de passion il devait ses succès à son habileté ; si sa finesse lui avait souvent réussi auprès des femmes vaines et vulgaires, — et le contraire aurait peut-être réussi de même, — ses calculs, près des femmes véritablement sensibles, le desservaient.

Mais la vanité des hommes est si singulière, qu’ils sont plus fiers des avantages qu’ils ont acquis que de ceux que la nature leur a donnés ; ainsi, M. de Marny aimait mieux se dire qu’il plaisait par sa volonté, que de s’avouer qu’il était naturellement aimable.

Laurence avait tant souffert depuis deux jours !… tant souffrir !… pour rien. La pauvre femme ! on voyait bien qu’elle avait pleuré, ses joues étaient pâles, ses yeux languissants.

Quand Lionel parut, elle eut un éclair de joie.