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MONSIEUR LE MARQUIS

Lionel allait répondre, mais les paroles expirèrent sur ses lèvres ; il regarda Laurence.

Son visage était impassible ; elle était belle, mais inanimée ; pâle encore, mais d’une émotion passée ; ses yeux étaient éteints, sa voix était sans trouble, pas le moindre dépit dans son accent. Lionel lui prit la main, il allait dire : « Vous ne m’aimez plus ! » Mais cette parole était trop tendre pour une telle femme, trop hardie pour un si froid maintien. Il ne lui semblait pas que cette femme-là dût jamais l’avoir aimé. Il aurait payé bien cher une injure en cet instant.

Cette politesse gracieuse l’irritait…

Laurence était alors indifférente et bienveillante ; expression dont Benjamin Constant se servait pour peindre une des femmes les plus distinguées de Paris.

Quoi ! sa main était dans la sienne… et elle ne frémissait pas !

Elle le regardait… et ses yeux si beaux n’avaient plus de langage !

Dans ses traits si charmants, plus d’amour !

Le cœur de Lionel se serrait. Le plus amer découragement s’empara de lui ; lui, si ingénieux en paroles caressantes ; lui, si éloquent en soupirs, il ne trouvait pas un mot pour exprimer sa souffrance ; il était muet, anéanti. Sa douleur était si violente, qu’il ne songeait pas à s’en étonner, et pourtant jamais il n’avait rien éprouvé de semblable ; pour la première fois de sa vie il aimait ! l’amour n’avait été pour lui jusqu’alors qu’une campagne plus ou moins heureuse, un combat dans lequel il se réservait toujours l’initiative de l’attaque ; mais cette fois le combat était différent, et l’amour faisait dans son cœur une invasion d’autant plus terrible, qu’il n’avait jamais songé à se défendre.


XXI.

UNE SOIRÉE ENNUYEUSE.


Madame Ermangard, M. le curé, M. le sous-préfet, — c’est-à-dire l’ancien sous-préfet, que les événements de Juillet avaient détrôné et qu’on s’obstinait encore à nommer M. le sous-préfet, manière ingénieuse et pacifique de protester contre