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DE PONTANGES.

la révolution de 1830, — madame la sous-préfète, étaient dans le salon. — M. le sous-préfet jouait au piquet ; il faisait la chouette à madame Ermangard et à M. le curé, étonnés tous deux de n’être pas ennemis ce soir-là. — C’était une grande maladresse pour des gens qui devaient jouer l’un contre l’autre le lendemain et les autres jours de leur vie, que de se dévoiler ainsi leur manière de procéder, leurs tours, leurs secrets. — Cela était bien imprudent.

Madame la sous-préfète regardait des gravures anglaises dans un keepsake. — Lionel lisait les journaux, et Clorinde brodait des pantoufles à côté de lui.

Madame de Pontanges s’absenta une heure, comme tous les soirs, pour aller surveiller le dîner de son mari. Rien ne pouvait la dispenser de ce devoir. Pendant ce temps on se répandit en élégies sur son destin, et l’on reprenait la phrase habituelle : — Pauvre jeune femme ! quelle existence !

L’ex-sous-préfet seul jeta les yeux sur M. de Marny, et se permit un très-malin sourire.

Madame de Pontanges revint ; elle s’assit sur un canapé auprès de la femme du sous-préfet.

Lionel, ne disait rien. Il souffrait réellement, il était sincèrement malheureux ; il ne pouvait parler, sa douleur l’étouffait. Madame de Pontanges remarqua cette préoccupation, et, persistant à l’attribuer à l’affaire importante qui avait retenu M. de Marny à Paris, elle cherchait par des prévenances pleines de grâce à le dédommager de ce qu’elle appelait un sacrifice. Or rien n’est plus offensant pour un homme très-amoureux que ces attentions, ces soins visibles ; rien n’atteste plus l’indifférence. Une femme qui répond à votre amour n’ose pas les avoir pour vous : ces soins lui sembleraient sans pudeur ; à peine s’occupe-t-elle de vous dans le salon ; vous risquez fort de ne pas avoir une tasse de thé chez elle. Ce n’est pas par prudence qu’elle vous évite, c’est par un sentiment de bon goût naturel. Ah ! mon Dieu, les femmes du monde se trahissent bien plus par leur réserve que par leurs coups de tête. J’ai observé cela.

— Monsieur de Marny, qu’avez-vous ? demanda madame