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MONSIEUR LE MARQUIS

Elle n’avait jamais pensé que M. de Marny fût amoureux d’elle.

Leur amour ressemblait si peu à celui qu’elle avait lu dans les livres, les sentiments de Lionel s’exprimaient d’une manière si moderne, il parlait si peu de sa flamme, de rocs escarpés, de faveurs précieuses, de tourments délicieux, de transports jaloux, que Laurence s’était méprise sur la tendresse qu’il lui témoignait ; et dans cette passion si vraie, exprimée avec tant de simplicité, elle n’avait pas reconnu l’amour, — l’amour de roman qu’elle avait rêvé.

Cette découverte l’épouvantait.

Alors elle comprit son danger.

Lui… voyait son trouble et s’en réjouissait.

Elle n’osait lever les yeux ; elle sentait les regards magnétiques de Lionel peser sur elle ; ces regards, comme un aimant irrésistible, attiraient vers eux toute son âme et s’en emparaient.

Oui, son cœur, doucement arraché par une force invincible, semblait la quitter.

Une émotion inconnue l’agitait.

Ce fut d’abord une crainte vague…

Puis une flamme sourde qui courait dans ses veines, qui brûlait son sang ;

Puis une oppression de bonheur enivrante ;

Puis une tristesse voluptueuse et sublime ;

Enfin tous les symptômes, les ébranlements, les vertiges, les délices, les angoisses d’une passion toute-puissante qui s’intronisait dans son cœur.

Heureusement pour Laurence, il éprouva, lui, le contre-coup de cette émotion violente ; il fut si heureux, si étourdi de son empire, qu’il oublia d’en profiter. S’il eût été près d’elle en ce moment, elle ne l’aurait pas repoussé… elle était si troublée…

Il lui laissa le temps de se remettre, — et quand il revint près d’elle, quand il tomba à ses genoux, elle avait recouvré la pensée ; elle eut le courage de l’éloigner ; et réunissant toutes ses forces pour retrouver la voix, elle dit :

— Vous vous trompez, Lionel, je n’ai jamais eu d’amour pour vous…