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DE PONTANGES.

Lionel sourit… ce sourire exprimait une incrédulité si tendre !

— Je connais mon cœur, reprit Laurence froidement ; il ne peut éprouver un sentiment coupable ! Oh ! ne cherchez pas à me l’inspirer… je vous haïrais. Il me serait impossible de vivre avec un remords. Le sentiment que j’ai pour vous est si pur, que jusqu’à présent il ne m’avait pas effrayée ; il était si doux !… N’en faites pas un supplice.

Et tombant dans les vulgarités d’usage :

— Ne voyez en moi qu’une sœur, ajouta-t-elle, une amie dévouée à qui vous direz tous vos chagrins, qui vous donnera toute sa confiance, qui vous chérira sans rougir. Vous ne savez pas comme je serais malheureuse si j’avais un crime à me reprocher ! Ma vie est triste, sans doute ; mais elle est calme ; elle me deviendrait alors odieuse ! Je puis tout supporter, excepté un remords.

Elle débita, comme si elle l’avait apprise par cœur, cette longue tirade de phrases vertueuses, cette formule insignifiante qui sert également à toutes les femmes, dans les préliminaires d’un amour : — à la femme galante qui examine ; — à la prude qui cache une autre intrigue ; — à la coquette qui joue un rôle ; — et à la femme honnête aussi, à qui toutes les autres l’ont empruntée.

Laurence récita ces phrases sans hésiter, parce qu’elle avait lu dans les livres qu’on répondait ainsi à une déclaration d’amour, et elle appuya sur le mot une sœur, — mot toujours si mal reçu en pareil cas, — en véritable femme de province.

Une seule chose manquait à ce beau discours :

l’accent.

Le ton, comme on dit encore en province.

Or c’est l’accent seul qui persuade, et M. de Marny ne fut nullement persuadé. Il contemplait Laurence avec extase. Il n’écoutait point ce qu’elle disait ; sa voix seule résonnait vaguement à son cœur, mais cette voix était si tendre, si troublée, qu’il ne pouvait soupçonner qu’elle parlât raison.

Et Laurence était si belle en ce moment ! le bonheur et l’effroi d’être aimée la faisaient rougir et pâlir tour à tour. — Il y avait