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DE PONTANGES.

— Elle me vient de ma belle-mère ; elle me l’a donnée en mourant, hélas ! le jour que je lui ai promis d’épouser son fils…

— Vous lui étiez donc bien dévouée à cette femme ?

— Je lui aurais donné ma vie… et j’ai fait pour elle un sacrifice quelquefois au-dessus de mon courage ; cependant je l’accomplirai jusqu’au bout ; je lui ai juré de ne jamais quitter son fils, j’ai juré devant Dieu de rester fidèle à mon mari, et, malgré vous, Lionel, je tiendrai mon serment.

— Cet héroïsme est absurde, reprit froidement M. de Marny ; qu’importe à votre mari votre fidélité ? il n’y comprend rien, il ne vous en saura aucun gré… Vous refusez le bonheur… et vous ne pouvez offrir à personne ce sacrifice.

— Dieu m’en récompensera, dit-elle en levant les yeux au ciel.

— Dieu ?… répéta Lionel d’un air d’incrédulité.

— Vous vous moquez de mes scrupules, reprit Laurence, à qui l’étonnement de Lionel n’avait pas échappé ; on ne croit donc plus à la religion à Paris ?

— Si, au contraire ; toutes les femmes sont dévotes, les églises sont pleines ; on s’y bat, il s’y passe des choses inouïes… — Rassurez-vous, on va beaucoup à la messe cette année.

Laurence ne comprenait rien à ce langage. Cette façon légère de parler d’une chose sainte la révoltait : une franche impiété l’eût moins blessée.

— J’aime beaucoup les dévotes, ajouta Lionel ; c’est si joli une femme à genoux ! Mais n’allez pas dire à M. le curé que je vous aime, il n’est pas déjà très-bienveillant pour moi ; s’il apprenait…

— Je ne sais pas mentir, répondit-elle avec dignité.

— Il faut apprendre, dit Lionel en appuyant son front sur le bras de madame de Pontanges, que cette familiarité câline offensa. Vous êtes dévote, madame ; mais vous êtes prude aussi, et cela n’est pas bien !

— Je ne suis pas prude, Lionel, je vous le dis sincèrement, tout ce qui est mal me déplaît.

— Mal !… mais ce n’est pas mal, d’aimer !

— C’est mal lorsqu’on n’est pas libre.