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DE PONTANGES.


XXV.

INCONSÉQUENCE.


Madame de Pontanges était indignée.

« Quels principes ! se disait-elle. Oh ! je ne le crains plus, je n’aimerai jamais cet homme-là ! Mais c’est horrible, tout ce qu’il a dit ce soir !… »

Elle s’endormit avec cette impression… mais elle rêva !

Et l’on est de bonne foi dans ses rêves. Le jour, nos idées, nos résolutions, nos volontés, les conventions de la vie sociale enchaînent notre âme.

Nous sommes le jour tels que le monde nous a façonnés.

La nuit, au contraire, nous redevenons nous-mêmes ; nous sommes ce que la nature nous a faits.

Nos sentiments sont alors involontaires, nous ne savons plus leur commander.

Nous sommes dominés par ces mêmes impressions que nous savions dompter naguère ; les événements, les émotions de la veille se décomposent, les souvenirs du cœur se détachent seuls de cette foule de convenances qui encombrent notre vie ; ils s’élèvent purs et distincts, dégagés de tous les miasmes mondains qui rendent la pensée si lourde, et nous nous abandonnons à eux avec confiance.

Nos scrupules s’évanouissent, nos intérêts disparaissent.

Nous vivons d’élans généreux, de dévouements sublimes ; notre vie n’est alors qu’amour et faiblesse, que passion et naïveté… Nous aimons ainsi jusqu’à l’aurore…

Mais sitôt qu’elle nous éveille, la vie mondaine reprend son empire : avec le jour, nos misérables calculs reparaissent, et la loi sociale nous renchaîne avec d’autant plus de puissance, hélas ! que notre âme a encore perdu de son énergie ; car elle s’est en vain épuisée dans l’entraînement de son rêve.

Pauvre Laurence, dans son demi-sommeil, dans cet engourdissement vague et ravissant qui n’est ni veiller ni dormir, qu’on pourrait nommer « le crépuscule du sommeil » ; dans cet état charmant où l’âme peut encore choisir ses souvenirs, de