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DE PONTANGES.

quelque temps ; mais l’héroïsme de longue haleine étant hors nature, la continuité d’une situation extraordinaire et forcée étant incompatible avec la mobilité de notre existence, il arrive que le dévouement le plus admirable, le sacrifice le plus complet, a des moments de relâche, des jours d’épreuves inattendues, où il ne s’harmonise plus avec les actions vulgaires de la vie ; des distractions enfin qui doivent, tôt ou tard, amener des événements ridicules et douloureusement comiques.

Ainsi, Laurence devait tous ses ennuis à l’exagération de son noble dévouement ; cette générosité, au lieu de l’embellir, jetait de la défaveur sur elle, comme toutes les complaisances maladroites. Il faut de la mesure dans tout, même dans la bonté ; de la mesure, rien que cela ?… Mais la mesure, c’est la force.

Oh ! cette soirée fut bien triste pour Laurence. Lorsqu’elle rentra, dans le salon, Lionel éprouva le plus désagréable sentiment. Madame de Pontanges avait changé de robe et de coiffure ; ses cheveux étaient maintenant arrondis en bandeaux. Lionel n’aimait plus Laurence : il n’eut pas ce soir-là un regard d’amour pour elle. Madame de Pontanges devina sa pensée et ne dit rien ; elle ne se plaignit point ; toute la nuit elle pleura. Quand Lionel la revit le lendemain, elle était si pâle, qu’il eut pitié d’elle et lui pardonna… Il lui pardonna d’être une femme sublime qui consacrait sa vie à ses devoirs.

M. de Marny fit encore une réflexion favorable à Laurence ; il lui vint cette idée : « Si cela était, elle aurait déjà pensé à me rassurer par un mensonge. Elle se tait… c’est qu’il n’est pour elle qu’un malade qu’elle garde par pitié, dont elle supporte les caprices par faiblesse… c’est un enfant qu’elle ne soigne que parce qu’elle est bonne et que, sans elle, il serait abandonné de tout le monde ! »

Lionel redevint aimable et gracieux.

Ces impressions se renouvelaient souvent et l’aidaient à se refroidir ; cependant il lui tardait d’avoir assez d’empire sur Laurence, d’avoir acquis assez de hardiesse auprès d’elle pour l’entraîner à s’expliquer franchement.

À la fin, cette situation l’ennuya ; d’ailleurs, le danger devenait menaçant : madame Ermangard et le sévère curé commen-