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MONSIEUR LE MARQUIS

sonnements généreux, des combinaisons d’héroïsme qui peuvent encore la sauver ; il faut la traiter comme on traite les fous ; il faut puiser à même sa démence le moyen qui doit la guérir. Si vous dites à un homme qui se croit pape : « Venez vous promener dans le jardin, l’air vous fera du bien, » il n’ira pas et se moquera de vous. Si vous lui dites au contraire : « Sa Sainteté veut-elle descendre un moment dans les jardins du Vatican, où le peuple de Rome veut jouir de sa vue ? » il s’empressera de vous obéir, et vous obtiendrez de lui une heure de promenade. Ainsi il faut traiter les cœurs atteints de passion, les guérir dans l’intérêt de l’objet même de leur tendresse, trouver dans l’exquise délicatesse de leur amour le moyen qui doit leur donner la force d’y renoncer. Un cœur passionné ne peut plus être sage, mais il peut encore être généreux.

Oh ! si l’on savait ce qu’il y a de tourments dans une passion sincèrement combattue, on fuirait si vite et si loin, qu’il n’y aurait plus de danger. Que de chagrins, que de supplices, que d’affreux détails dans ce grand malheur ! Brûler une lettre ! une lettre qu’on aime… rien que cela, c’est un chagrin à faire pleurer dix jours… Voir cette écriture si chère s’effacer peu à peu sous la flamme, voir le mot qui fait battre le cœur se consumer sans retour… c’est un adieu à chaque ligne ; de tant d’amour ne garder rien ! — Et puis mentir enfin, tromper ! Mentir, quand notre âme a retrouvé toute sa candeur première ; mentir, quand nos sentiments sont tous involontaires ; quand notre pensée est toute franchise, tout abandon ; et c’est encore un inexplicable phénomène que l’amour, qui vit de mystère, ne puisse s’arranger du mensonge. Oh ! quelle vie ! et puis être jalouse enfin ! jalouse et ne pouvoir le suivre, ne pas savoir ce qu’il devient, garder un soupçon sans pouvoir l’éclaircir, passer des jours entiers dans le doute !… Oh ! cela fait dresser les cheveux… Un crime ! un crime ?… Oh ! ce n’est pas un crime ; c’est un enfer de honte, de tourments, de larmes, de misères et de dégoût !…

Pauvre Laurence ! elle n’en était encore qu’aux tourments de l’absence, aux angoisses du combat ; mais elle souffrait bien déjà. Son caractère était changé, toutes ses vieilles et bonnes idées la qui liaient ; elle s’en apercevait et ne pouvait les retenir ;