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DE PONTANGES.

vous ouvrez devant vous ! » et elles vous comprendront. Quand vous aimez et que vous n’êtes pas libre, vous vous rendez à jamais misérable, vous faites le malheur de deux hommes : du mari que vous trompez et de celui que vous lui préférez, de celui-là surtout, que vous placez dans une condition déplorable ; car il n’est pas de supplice plus horrible pour un homme sincèrement épris que cette monstrueuse pensée : « La femme qui m’aime n’est pas à moi, elle appartient à un autre qui peut l’emmener au bout du monde sans que je le sache, sans que je l’arrête ; qui peut la chérir sous mes yeux sans que j’aie le droit de le tuer ! » Oui, dites à une femme : « N’aime pas, parce que tu feras le malheur de celui que tu aimeras ! » elle comprendra cela, et elle aura peur. Dites à une jeune fille : « N’aimez pas sans l’aveu de vos parents, parce que votre déshonneur fera mourir de chagrin votre mère, que votre frère se battra pour vous ! » elle comprendra cela ; mais si vous leur dites que c’est un crime, vous les perdez. Une femme aimante trouvera mille raisonnements captieux pour vous confondre ; elle vous dira : « Ce qui rend mon âme plus forte, plus généreuse, plus dévouée, qui m’exalte jusqu’aux plus nobles sentiments, qui me donne le courage, la patience, la foi ; ce qui me ramène toutes mes croyances, qui régénère toutes mes pensées, n’est pas un crime ; je sens que je vaux mieux depuis que j’aime ; je retrouve une pureté d’âme que je n’avais plus ; je crois au bien, à la vertu que j’ai trahie, à Dieu que je viens d’offenser. » Car c’est un mystère effroyable, et pourtant plein de consolation : la foi nous est rendue avec l’amour ; la femme qui vient de trahir ses serments, les serments que Dieu a reçus, croit plus en Dieu que la veille. On dirait qu’elle a compris le ciel par la passion.

Non, quand l’âme a atteint un certain degré d’exaltation, ce n’est plus par des raisonnements sains et moraux qu’on peut la détourner du mal ; l’idée du crime même ne l’arrête plus. Le crime est encore un dévouement, un sacrifice, et tout sacrifice lui paraît noble pour ce qu’elle aime. À cette âme malade à force de passion, il faut des mots en harmonie avec ses pensées ; pour se faire entendre, il faut parler le langage de son amour ; les principes austères ne lui parviennent plus ; ce sont des rai-