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DE PONTANGES.

lants désirs dans un cœur pur ! C’est là seulement que l’amour règne dans toute sa puissance. Oh ! comme il est noble et terrible, comme il s’empare fièrement de sa conquête, de ce monde nouveau qu’il vient de découvrir, de ce cœur inhabité qui lui appartient ! Sa voix sonore résonne dans ces solitudes, ainsi que l’orage dans les montagnes ; il se joue avec les échos qu’il réveille, avec les tempêtes qu’il soulève ; il se mire dans ses lacs d’azur, tant il est orgueilleux de sa beauté nouvelle, tant il chérit cette nature forte et primitive qui vient de le régénérer.

Oui, l’amour n’est véritablement dangereux que pour les âmes honnêtes ; il les recherche de préférence ; elles seules sont capables de le comprendre et de l’éprouver.

Une femme coquette peut résister au danger, elle n’y croit pas ; elle est invulnérable par son incrédulité même ; mais une femme honnête, au contraire, est désarmée par ce qu’il y a de noble et de généreux dans son caractère, par sa vertu même, par sa crainte ; elle est faible quand l’heure du danger est venue, car elle s’est d’avance épuisée par le combat.

Ainsi, l’âme de Laurence n’avait plus d’énergie pour résister aux entraînements de sa passion. La loyauté même de son caractère, sa générosité si naïve, devaient la perdre.

En rappelant Lionel, elle s’était engagée à l’aimer. Il s’attendait au bonheur ; il y avait presque des droits, il en était digne par tant d’amour. Il était enivré d’espérance, ses yeux brillaient de tant de joie ! Oh ! cette joie, qu’elle était dangereuse, qu’elle était imposante, qu’elle était menaçante aussi ! En quel affreux désespoir un mot aurait pu la changer ! et ce mot, quelle femme aurait eu le courage de le dire ? Laurence l’essaya, il expira dans son cœur. Quelle voix aurait été assez barbare pour troubler cette harmonie délirante ?

Lors même qu’elle l’aurait moins aimé, elle n’aurait pas eu la cruauté de le désenchanter. Ah ! si vous aviez donné par erreur un louis d’or à un pauvre, et qu’il vous remerciât avec reconnaissance, iriez-vous lui dire : Rends-le-moi, je me suis trompé, je ne voulais pas te donner tant ?

Et Laurence, qui avait trouvé dans la chasteté de son amour des forces contre la passion de Lionel, qui avait bravé sa colère,