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MONSIEUR LE MARQUIS

L’accent de vérité avec lequel M. de Marny prononça ces mots, son extrême pâleur, rendaient sa menace si probable, que madame de Pontanges se sentit troublée.

— Vous ne m’éloignerez plus, n’est-ce pas ? reprit-il avec tendresse.

Et son regard était implorant.

Et pressant sur ses lèvres la main de Laurence, il attendait sa réponse.

— Jamais, répondit-elle.

— Jamais, n’est-ce pas ? Vous le voyez vous-même, Laurence, vous ne pouvez plus m’éloigner. Oh ! donne-moi ta vie, Laurence, je mérite si bien que tu m’aimes, je serai si dévoué, si heureux.

— Lionel ! Lionel ! s’écria Laurence en se dégageant de ses bras.

— Quoi ! toujours la même ! reprit-il avec amertume ; pourquoi m’avoir rappelé, si mon amour vous épouvante ? pourquoi me promettre tant de bonheur, et me tromper ? Voulez-vous que je vous fuie ? j’obéirai ; je puis faire à votre repos ce sacrifice, quelque horrible qu’il me paraisse ; mais ce que je ne puis pas faire, même pour vous, c’est de vous cacher mon amour, c’est de rester insensible quand vous m’aimez, c’est d’être calme auprès de vous… Malheureux ! s’écria-t-il avec désespoir, faudra-t-il donc la fuir encore !

À la seule idée de le voir s’éloigner de nouveau, le souvenir des tourments qu’elle avait soufferts en son absence rendit à madame de Pontanges toute sa passion.

— Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle à son tour, ne plus le voir, vivre sans lui !… cela m’est impossible !… C’est le seul malheur que je ne puisse pas supporter !

Et, dans son cœur, elle se résignait comme une victime généreuse ; comme un martyr, elle voulait acheter par un sacrifice le bonheur éternel. Le sacrifice, c’est l’amour ! le bonheur, c’est la continuelle présence de ce qu’on aime !

Ô divin prestige de la vertu, sublime pudeur d’une âme honnête qui lui fait nommer sacrifice, dévouement passionné, ce que la galanterie vulgaire a flétri du nom de faveurs ! que de trésors cachés dans une passion qui s’ignore ; que de brû-