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MONSIEUR LE MARQUIS

— Si vraiment, tout cela a un nom : cela s’appelle un dépit. Or qu’est-ce qu’un dépit ? Ce qu’il y a au monde de plus absurde, de plus contraire à nos goûts, à nos intérêts ; ce qui doit faire le malheur de notre existence, de tout ce qui nous entoure, de la femme que nous aimons, de celle que nous n’aimons pas ; enfin l’action la plus sotte qui doit peser comme un fardeau éternel sur le reste de la vie. Tout cela s’explique par ce mot :

un dépit.

— Je le veux bien ; mais pourquoi ce dépit ? Madame de Pontanges ne l’aime donc pas ?

— Si, elle l’aime…

— Eh bien ?

— Mais elle veut rester vertueuse ; et il l’a laissée là.

— Ah ! ma foi, elle n’a que ce qu’elle mérite. Il a bien fait. Ne me parlez pas de ces femmes égoïstes qui veulent qu’on les aime gratis, qui vous exaltent par leurs folies romanesques, qui vous montent la tête, vous rendent fous ; et puis… bonsoir… Ah ! j’en ai rencontré de ces femmes-là, et Dieu m’en préserve !

— Eh bien, Dieu m’en a préservé. J’avoue à ma honte que je n’en ai jamais rencontré.

— Fat ! s’écria M. Bonnasseau. Il accompagna cette exclamation d’un sourire fin et d’un regard extrêmement flatteur. — Sais-tu, continua-t-il, ces femmes-là sont assez agréables dans l’absence ; elles écrivent divinement, et quand on est loin de tout, dans le fond d’une province, on est bien aise de recevoir de temps en temps quelques lettres passionnées qui vous tiennent au courant des nouvelles de Paris.

— Oui, on les aime par correspondance, et cela suffit… Mais vous me faites bavarder, et je serai en retard…

— Est-ce que Lionel va venir vous chercher ?

— Lionel ?… mais il est parti depuis quinze jours ; il est déjà établi chez le père de sa fiancée, M. Bélin.

— Ah ! c’est mademoiselle Bélin qu’il épouse ?

— Oui, l’aînée… Clémentine.

— C’est un bon mariage !

— Oui, surtout pour un dépit.