Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/40

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— Non, mais une présentation est une solennité à laquelle on ne saurait trop se préparer. Que dire à quelqu’un que l’on ne connaît pas ?

— Eh mais ! ce que l’on dit aux autres ; cela est si indifférent !

Edgar prononça ces derniers mots avec un dépit visible.

— Comme vous êtes devenu sombre, reprit Stéphanie ; qu’avez-vous donc ? qui a pu vous attrister ainsi subitement ?

— La vue d’un supplice inutile… je n’aime point à voir souffrir. Oui, vraiment, et je suis capable d’aller dire à ce pauvre jaloux, ajouta-t-il en désignant le jeune officier qui était en face d’elle, que vous n’aimez que lui et que je ne mérite pas sa colère.

L’embarras de mademoiselle de Fontvenel fut extrême ; elle rougit, baissa les yeux, et après un moment de silence :

— Mon frère a raison, dit-elle, vous êtes un observateur bien redoutable !

— Oui, si j’étais méchant ! reprit Edgar ; mais rassurez-vous, je n’ai pas de vanité, et, si modeste que soit la place que l’on m’accorde, je sais m’y résigner ; mais je veux qu’on me la laisse toujours…

Le ton affectueux dont il prononça ces paroles émut visiblement Stéphanie ; et M. de Lorville devinant qu’elle allait éprouver quelque regret, et que le jeune officier venait de perdre de ses avantages, s’éloigna, consolé par sa supériorité, comme un grand général se console d’une défaite en calculant les pertes de l’ennemi.

Edgar fut bientôt présenté à madame de Clairange, ainsi qu’on l’en avait menacé. Il vit une femme jeune encore, mise avec recherche, et dont la figure aurait paru complètement insignifiante sans une grimace bienveillante et continuelle qui lui composait une espèce de physionomie. Madame de Clairange n’avait ni âme, ni esprit, ni qualités, ni défauts ; et n’étant entraînée ou retenue par aucun sentiment primitif, bon ou mauvais, elle avait pu se choisir tous ceux qui embellissent, et cela avec un goût exquis, c’est une justice à lui rendre. Les émotions les plus naturelles n’étaient pour elle que des parures ; elle préférait la bonté à la malice, comme on préfère le bleu au rose, selon qu’il sied mieux. Rien ne lui coûtait