Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/41

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pour acquérir une vertu séduisante. Chez elle, la pudeur était une étude, la sensibilité un ornement et la douceur un système. À force de la modérer, elle rendait sa voix si faible qu’on ne l’entendait pas. Cette préoccupation de toilette morale se trahissait dans ses discours ; toutes ses phrases commençaient par : « Rien ne sied mieux… rien n’embellit autant… » On croyait qu’elle allait parler d’une coiffure ou d’une étoffe à la mode ; point du tout, c’était de la piété ou de la bienfaisance. Décidée à la générosité, dans son zèle charitable, elle faisait, en effet, beaucoup de bien, mais tout cela sans charme, sans se faire aimer. Sa bonté était, pour ainsi dire, sans vie, ses consolations n’arrivaient pas jusqu’à vous ; tout ce qu’elle disait pour calmer votre douleur prouvait qu’elle ne la comprenait point, et ceux-là mêmes qu’elle accablait de ses bienfaits, tout en la remerciant avec reconnaissance, la traitaient comme une étrangère. C’est que, pour être parent des malheureux, il faut avoir ou beaucoup souffert, ou beaucoup rêvé.

Il n’était pas une seule personne dans la société de madame de Clairange à qui elle n’eût rendu service. Aussi, dès qu’elle arrivait, on s’empressait autour d’elle ; car chacun voulait la dédommager, par une préférence apparente, des sentiments qu’elle n’inspirait pas ; sans se rendre compte du peu de sympathie qu’on ressentait pour elle, on se reprochait de rester indifférent pour une personne si obligeante, et l’on se soulageait de ce remords en faisant d’elle des éloges démesurés. Aussi elle avait une réputation de dévouement, de bonté angélique que sa nature ne méritait pas, mais que ses actions justifiaient.

Les âmes médiocres et les petits esprits se passionnaient pour elle, et citaient volontiers sa conduite pour humilier les autres femmes. Les gens distingués, les âmes d’élite, au contraire, se fatiguaient de tant de vertus étudiées, et de même que les continuelles bergères et les perpétuels moutons de M. de Florian font désirer un loup féroce, les constantes perfections de madame de Clairange faisaient aspirer après un bon défaut.

M. de Clairange avait eu, d’un premier mariage, une fille que madame de Clairange traitait comme la sienne ; et même,